Aujourd’hui, 25 mars, c’est la journée mondiale d’action contre la publicité, en particulier dans l’espace public. Cette journée, lancée en 2013, a-t-elle encore un sens dans un monde où la publicité est devenue omniprésente, banale, jusqu’à faire partie intégrante de notre quotidien ?
Extension du domaine de la pub
La question de l’emprise de la publicité sur nos vies est précisément devenue une vraie question, à l’heure où le numérique lui permet d’investir de nouveaux espaces.
L’histoire de la publicité a été scandée par l’apparition de nouveaux modes de communication : la presse puis l’affiche, la radio et la télévision ont révolutionné le monde de la publicité, en contribuant à l’émergence d’une véritable « culture pub ». Via le web, les réseaux sociaux et nos smartphones, la diffusion de messages publicitaires a atteint une nouvelle dimension, s’immiscant plus avant dans notre quotidien. L’échange d’informations sur chaque consommateur par une multitude d’acteurs et d’entreprises a ouvert de nouvelles portes à la publicité, toujours plus ajustée aux attentes de chacun[1]. Qui n’a pas fait l’expérience de retrouver sur Facebook les articles qu’il avait repérés quelques instants plus tôt sur un site de vente en ligne ?
Depuis 2010, la publicité s’affiche sur écran dans l’espace public. Même si le phénomène se cantonne pour l’instant aux gares, métros et centres commerciaux – qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations que l’espace public – force est de constater l’impact des nouveaux supports de diffusion, qui attirent le regard de manière quasi réflexe par les effets conjugués de la luminosité et du mouvement d’images. En parallèle, les commerçants, cafés et restaurants sont démarchés par des entreprises leur proposant une manne financière en contrepartie de l’installation d’écrans publicitaires. L’une d’elle peut prêter à sourire : Little corner (le petit coin !)a fait de l’installation d’écrans publicitaires dans les toilettes publiques son créneau de marché, dernier endroit où l’on peut garantir de capter « 45 secondes d’attention », comme l’expliquait froidement son gréant sur un plateau TV de BFM Business[1] le mois dernier. Le café associatif des Altercathos, le Simone, a été démarché par une entreprise semblable pour l’installation d’écrans dans les toilettes, en contrepartie de la coquette somme annuelle de 7000 euros par an.
Enfin, le numérique offre un nouveau potentiel de contrôle du consommateur par des outils analysant le visionnage de la publicité (caméras transcrivant le temps de lecture du spot, l’attitude, l’âge, le sexe du consommateur, …). Elle a également vocation à devenir plus interactive, à adapter ses mouvements au passage des piétons, à proposer de « jouer avec l’image », notamment via notre smartphone. La technologie liée au numérique fait donc de la publicité non plus seulement un mode de diffusion d’un message mais une « expérience » à laquelle le consommateur participe, qu’il le souhaite ou non.
il n’existe pas d’ « ad block » de l’espace public.
La transition d’une « diffusion » vers une « agression » publicitaire, l’invasion de la publicité dans l’espace public et intime, sont devenus une réalité pure et simple. Or, il n’existe pas d’ « ad block » de l’espace public. En dépit des questions posées par les messages publicitaires en tant que tels, se pose aujourd’hui la question de la préservation des espaces publics et intimes face à la pression consumériste et la question de notre propre liberté face à la diffusion de ces messages.
Une question politique pourtant discrète
Partout en France, la question de la publicité numérique dans l’espace public est actuellement sur la table
La loi portant Engagement National pour l’Environnement (ENE) de 2010 a introduit quelques changements en matière de règlementation locale de la publicité. D’ici à 2020, les collectivités doivent mettre en place de nouveaux Règlements Locaux de Publicité (RLP), à l’échelle communale ou intercommunale (selon l’échelon en charge de l’urbanisme). La révision ou l’élaboration de ces documents rend possible l’introduction d’affichage numérique dans l’espace public, de manière réglementée et en satisfaisant aux normes nationales (en matière de consommation énergétique et de luminosité par exemple). Partout en France, la question de la publicité dans l’espace public est donc actuellement sur la table, avec l’ouverture de concertations en direction des habitants.
D’où la forte mobilisation des associations militant contre l’expansion publicitaire dans l’espace public comme Résistance à l’Agression Publicitaire ou, à Lyon, le Collectif Plein la Vue, qui réunit une pluralité d’association et de citoyens soucieux d’interpeller les pouvoir publics sur la question, et plus particulièrement celle des écrans publicitaires.
La mise en place d’écrans numériques dans les rues de Lyon a déjà été négociée lors de la conclusion d’un contrat par la Métropole avec JC Decaux, comprenant la prise en charge de l’offre Velo’v comme l’implantation de ces nouveaux supports de publicité. La concertation a donc déjà du plomb dans l’aile. A Paris, l’installation prématurée de ces écrans, en l’absence d’un RLP finalisé, a abouti à une rupture de contrat entre Decaux et la ville, après dénonciation par des entreprises concurrentes.
Chrétiens contre la pub ?
En quoi ces évolutions du monde publicitaire regardent-elles les chrétiens ?
- Les messages publicitaires ne sont pas neutres. Ils structurent notre vision de la femme, des rapports humains, notre rapport à l’argent et à la consommation. La publicité numérique rend ces messages encore plus opérants. Il importe de demeurer vigilant face à l’avènement d’une culture matérialiste et objectivante, en lien avec la « culture du déchet » décriée par le Pape François.
- Parce que nous pensons que notre environnement doit permettre un développement intégral de la personne humaine, dans toutes ses dimensions. En cela, il convient de poser des limites à l’emprise du marché et de la société consumériste dans l’espace public comme dans l’espace privé. La beauté des paysages urbains, qui appartiennent à tous, comme notre capacité d’attention au monde, méritent que l’on veille à tenir à distance les « marchands du temple ». Comme l’écrit le Pape François dans l’encyclique Laudato Si:
« Pour parler d’un authentique développement il faut s’assurer qu’une amélioration intégrale dans la qualité de vie humaine se réalise ; et cela implique d’analyser l’espace où vivent les personnes. Le cadre qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie, de sentir et d’agir. En même temps, dans notre chambre, dans notre maison, sur notre lieu de travail et dans notre quartier, nous utilisons l’environnement pour exprimer notre identité. Nous nous efforçons de nous adapter au milieu, et quand un environnement est désordonné, chaotique ou chargé de pollution visuelle et auditive, l’excès de stimulations nous met au défi d’essayer de construire une identité intégrée et heureuse. » (147)
- Parce que l’encyclique Laudato Si du Pape François nous invite à une certaine cohérence à travers la notion d’« écologie intégrale ». La multiplication des écrans interroge quant à son coût écologique et énergétique. Même dotés de LED peu énergivores, les écrans ont un coût écologique au moment de leur fabrication (forte consommation d’eau, métaux rares, …). La multiplication des écrans dans les transports, les commerces et dans l’espace public constitue un coût écologique pour la société.
Que faire ?
Il est possible de signer dès à présent la pétition du Collectif Plein la Vue.
Un groupe de chrétiens engagés sur ces questions est en cours de constitution à Lyon. Vous pouvez les contacter à l’adresse suivante : chretiensantipub@net-c.com
Une conférence est également prévue au Simone le lundi 23 avril à 20h (45, rue Vaubecour, Lyon 2e), animée par ce groupe, sur la question de la publicité dans l’espace public.
[1] Voir sur ce point le reportage de Cash Investigation : https://www.youtube.com/watch?v=dMgh1UAfn7A