Ce texte est issu des réflexions conduites au cours de l’atelier « Comprendre les déconstructions du genre », organisé chaque mois aux Alternatives Catholiques, atelier qui regroupe dans la mesure du possible des partisans et des opposants de la (non-)théorie du genre.
Le trouble dans le genre décrit par Judith Butler n’est pas la confusion des genres qu’essaient de produire (en vain) Najat Vallaud-Belkacem et Vincent Peillon. En effet, les études de genre sont une chose, leur instrumentalisation politique en est une autre. Cette instrumentalisation des gender studies, sous couvert de caution scientifique, a un nom qui n’est pas parfait, mais qui est très simple : ça s’appelle une idéologie, c’est-à-dire une doctrine politique qui se fait passer pour scientifique. Or la science comme argument d’une politique, rien n’est plus opposé à la pensée de Butler. Par nature, si je puis dire, la pensée de Butler ne se prête à aucune instrumentalisation politique : elle ne vise en aucun cas une mise en œuvre du trouble dans le genre par un gouvernement, aussi bien intentionné soit-il. Elle est la déclaration publique d’un fait (les stéréotypes de genre ne cadrent pas toutes les identités existantes), elle n’est pas un programme politique. Le trouble dans le genre de Butler n’a pas besoin de la confusion des genres de Belkacem.
Le trouble dont il est question chez Butler est un mot anglais : to trouble c’est poser problème. Or du « trouble » anglais au « trouble » français, synonyme de confusion, il y a un pas à ne pas franchir : interroger les stéréotypes de genre, ce n’est pas chercher à les confondre. Ce pas est franchi sans aucune réflexion par les deux ministres, et par nombre de militants politiques… sans doute à la suite d’une erreur de traduction.
Il s’agit pour Butler de déconstruire, non pas au sens de détruire, mais au sens de montrer la construction. La politique que pratique Butler consiste ainsi à montrer l’inévidence des constructions sociales… mais absolument pas par des programmes gouvernementaux d’expérimentation scolaire ! C’est la parodie des stéréotypes, qui culmine selon elle dans les « drags », qui relativise l’universalité de l’hétérosexualité[1]. Or montrer la construction des genres, ce n’est pas les empêcher de se construire par des pratiques pédagogiques hasardeuses.
Pourtant quand l’Etat cherche à produire l’égalité des identités de genre, il s’efforce en fait de produire des identités indifférenciées. Cela ne tient d’ailleurs pas à tel ou tel gouvernement, mais peut-être à la nature même de l’Etat, à la difficulté séculaire qu’il a à n’avoir pas un rapport de promotion des différences, mais de normalisation. Alors que Butler voudrait libérer les identités de genres invisibilisées ou stigmatisées, l’Etat y met ses gros doigts et s’efforce de produire de l’indifférent. C’est ce que l’on voit très bien dans les fameuses crèches expérimentales mises en place dans des quartiers populaire[2] : il aurait pu s’agir tout simplement de laisser les filles jouer aux jeux des garçons, et vice versa[3]. On a choisi de les inciter à jouer aux jeux des garçons. Or si l’on tient avec Butler que le genre se définit comme un ensemble de pratiques il s’agit bien de désexualiser les pratiques, puisqu’aucune ne serait plus spécifiquement de tel ou tel sexe. Il s’agit en somme de dé-genrer, c’est-à-dire d’indifférencier les genres, alors que Butler voulait au contraire les faire proliférer.
On m’objectera que les théories du genre ne se limitent pas à Butler, qu’elles sont nombreuses et contradictoires. La question est donc posée : de quelle théorie du genre Belkacem s’inspire-t-elle donc ? Car on pourrait penser que la première à lutter contre le genre, c’est elle[4].
[1] J’ouvre ici une parenthèse. Nous-mêmes, catholiques, nous apportons au monde des exemples qui relativisent l’hétérosexualité dominante : ce sont les communautés d’hommes ou de femmes qui ont donné leur vie à Dieu, ou les célibataires consacrés qui vivent la sainteté hors du mariage. Ces personnes offrent l’exemple d’une vie chaste, donc non-soumise à l’impératif de reproduction qui exprime le phallogocentrisme que combat Butler. Nous pensons même que le mariage doit être référé à cette chasteté ! C’est dire que la relativisation de l’hétéronormativité ne nous effraie pas : nous la relativisons depuis plus de 2000 ans. Simplement, il ne faut pas confondre la relativisation de l’hétéronormtivité avec sa suppression. Ainsi comme je le montre par la suite, ce n’est pas nous qui sommes hostiles aux gender theories, c’est l’actuel gouvernement.
[2] J’insiste : « dans des quartiers populaires ». On peut s’interroger ici sur le statut de ces populations qui servent de cobaye.
[3] Comme d’ailleurs cela s’est vraisemblablement toujours fait.
[4] Elle le dit à satiété « la théorie du genre n’existe pas »… elle devrait dire « la théorie du genre n’existe plus ». Good job !
1. Il me semble que la théorie de Butler conduit à multiplier les possibilités de genre, à dépasser ainsi le « binarisme » de genre. Or, cela mène bien à l’indifférenciation, ces genres n’étant plus fondés sur le génotype sexuel : chaque genre n’est plus absolument naturellement imposé, mais individuellement choisi, ce qui relativise et donc annihile la valeur intrinsèque du genre. Il s’agit bien pour Judith Butler de faire « proliférer des identités indifférenciées ».
2. Dans un deuxième temps, une fois les personnes indifférenciées, cela permet l’indifférence des pratiques sexuelles : homo, bi, poly, hétéro (soyons fous!), etc. (tout est dans le « etc. »), tout devient possible et rien n’est normal. Les disciples de Sainte Butler distinguent clairement l’identité de genre et l’orientation sexuelle, ne les confondons donc pas, mais gardons en mémoire que les deux sont liés par une même intention.
3. L’Eglise propose une alternative entre sexualité et chasteté, mais pas avec l’hétéronomie de cette sexualité, c’est bien noté.
Excellent article : peut-on y faire référence sur d’autres sites ?
Bien sur tout pub est toujours bonne à prendre.
Hmm, stimulant point de vue, qui touche juste lorsqu’il évoque les « gros doigts » du gouvernement lorsque celui-ci veut s’emparer des problèmes de discrimination. Je rejoins parfaitement l’idée centrale: le gouvernement ne fait pas du Butler — au mieux il pratique un féminisme classique, «pré-butlérien» si l’on veut…
En revanche je serais moins catégorique que l’auteur sur le caractère « non politique » du travail de Butler. Il faudrait au moins distinguer. Si « non politique » veut dire : non applicable, dépourvu de sens du point de vue d’une politique à mener consciemment (par un gouvernement, par exemple), c’est sûrement exact.
Mais d’autre part Butler elle-même est persuadée du caractère éminemment « politique » de son projet, en vertu de sa lecture foucaldienne de l’omniprésence du « pouvoir ». C’est ce « pouvoir »-là, diffus, omniprésent, qu’elle traque dans le féminisme même. Ainsi qu’elle l’écrit dans l’importante préface de 1999 à la ré-édition de Gender trouble,
(…) le féminisme doit se garder d’idéaliser certaines expressions du genre qui produisent en retour de nouvelles formes de hiérarchie et d’exclusion.
Mais c’est justement parce qu’elle entend lutter efficacement contre l’exclusion, et donc provoquer des changements dans le monde réel: non pas seulement «constater» que le genre est «trouble», mais «ouvrir» de nouvelles possibilités de vivre pour ceux qui sont actuellement exclus.
Et Butler de réfuter (ou de s’efforcer de réfuter) l’accusation, portée contre elle par une partie de la gauche américaine, selon laquelle « les prémisses poststructuralistes » ne sauraient «avoir des effets politiques progressistes» (p. 28 de la trad. fr.). Avoir de tels effets, c’est l’ambition de Butler, constamment revendiquée.
C’est par là qu’elle se distingue des auteurs français dont elle s’inspire (Foucault, Derrida, Lacan, etc.), et cette différence est, d’après elle, constitutive de l’appropriation américaine de la French theory, comme on appelle là-bas la galaxie post-structuraliste. Lire Butler comme « non politique », c’est donc au fond lire Butler avec des lunettes françaises, la retraduire en français, pour ainsi dire, mais en effaçant du même coup l’originalité de sa propre traduction américaine des «théories» françaises…
La question reste ouverte, cependant, de savoir si Butler peut avoir des effets politiques réels. Elle même est consciente du problème, puisqu’elle remarque que la lutte contre les discriminations subies par les minorités sexuelles passe en général par la construction d’une identité spécifique (L, G, B ou T, par exemple), et donc à nouveau des formes de différenciation, donc de hiérarchie, donc d’exclusion — ce que Butler veut en principe éviter en renonçant à la catégorie de l’identité. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle paraît s’accommoder de la contradiction, et la revendique même comme un effet subversif supplémentaire…
@Philarête
Je suis d’accord !
Ce que je mets en question c’est précisément l’idée que la manière dont Butler voit la politique pourrait déboucher sur ce que font Belkacem et Peillon –> politique locale vs politique étatique. Je ne pense pas que Butler, du moins la Butler philosophe, voit d’un bon oeil l’idée d’un orthopédie étatique des genres.
J’irais un poil plus loin que les deux commentaires ci-dessus. Car la lecture de Butler se prête effectivement à l’interprétation qu’en font VPeillon et NVBelkacem. « FAIRE proliférer les identités de genre », comme dit JButler, ce n’est pas neutre. C’est faire contre la norme, quoi qu’elle en dise, et non pas avec. C’est la dissoudre.
Tout se passe, en toute naïveté, comme si une société, une culture, pouvaient se passer de normes.
Que notre société interroge les normes, grand bien lui fasse, quoi que ce soit sans fond…(Il faudra interroger le besoin que notre époque a eu d’interroger, etc). Que cette même société en vienne à l’idée qu’il pourrait exister des sujets « libérés de la culture et de la nature » au point d’inventer leur être « librement » est tout simplement fou. Qu’elle en vienne à la promotion du sujet autocentré, auto-référencé,non limité, c’est à dire finalement désubjectivé, voilà qui m’inquiète et c’est ça que je vois de commun à Butler et à Peillon-Belkacem, derrière toutes leurs protestations de bonnes intentions féministes …
Que, pour régler son compte à l’Eglise catholique, VPeillon ait besoin de promouvoir une démolition de la culture qui s’apparente à une sortie de la culture, voici qui m’inquiète…Or, il n’est absolument pas prouvé que « déconstruire » soit autre chose que « détruire », chez Butler comme chez Peillon. Il n’est pas question chez eux d’ « analyser », d' »examiner ». Il est question de déconstruire, de défaire..
Et faire voisiner « déconstruire » avec « identité » ne me réjouit pas. On ne joue pas avec les identités, c’est quelque chose de fragile. D’explosif. D’idéologique. De fondamentalement irrespectueux.Parce que c’est au fondement de l’identité que l’on s’attaque, croyant partir la fleur au fusil…
Relire Pierre Legendre..
Intéressant point de vue !
Je ne le partage pas complètement ceci dit, l’amie Judith s’inscrit dans une tradition plus politique que scientifique. Pour ceux d’entre-vous qui conservent une âme d’explorateurs, je vous encourage à me suivre dans mes pérégrinations à la recherche de la « Théorie du genre »
Dans la jungle du genre
September 5, 2013 at 4:48pm
La « théorie du genre », selon laquelle le masculin et le féminin sont des constructions sociales tenterait d’entrer dans nos manuels scolaires. Le dernier épisode relevé par le site d’information Aleteia (1) est un amendement rejeté par l’Assemblée nationale faisant référence à l’égalité de genre… Mais a-t-on raison de craindre cette « théorie du genre » ? Et d’abord qu’est-ce donc que cet étrange animal ? Pour tenter de l’identifier, nous envoyons pour vous un explorateur dans la cyberjungle avec une connexion Internet et une bonne dose de temps de cerveau humain disponible.
Premier jour : La théorie du genre n’existe pas
Dès les premiers coups de machette, notre explorateur est sommé de rentrer chez lui avec armes et bagages : la théorie du genre n’existe pas. Najat Vallaud-Belckacem, Ministre des droits des femmes l’affirme avec autorité (2). Mais sur le chemin du retour, il découvre qu’il n’est pas le seul à avoir commis cette bévue. Le ministre de l’éducation Vincent Peillon lui même est copieusement malmené par le quotidien Libération (3), pour avoir employé les termes « théorie du genre » accréditant par là l’existence d’un « yéti » selon le journal. Ce yéti est une créature monstrueuse, inventée par les conservateurs, qui refusent tout à la fois le mariage homo et l’égalité homme femme, et cherchent à faire peur aux honnêtes gens. A vrai dire, en faisant un peu d’archéologie, notre explorateur découvre que d’autres personnalités politiques de gauches (Martine Martinel, Marie-George Buffet, Patrick Bloche) parlaient naturellement de ce yéti, cette « théorie du genre », sans en nier l’existence il y a peu (en février 2013 (4)). Il y a donc bien quelque chose, ou il y a eu, mais les termes de « théorie du genre » sont connotés. Notre explorateur préfère ne pas emprunter les chemins tortueux de la guerre sémantique. Alors si le yéti est mort, il reste son squelette, et ce sont les gender studies… elles existent bel et bien ! Les « études sur le genre » consistent à analyser le genre en tant que construction sociale. Voilà une voie prometteuse, appuyée sur la stricte rationnalité scientifique, et notre explorateur l’emprunte avec enthousiasme
Deuxième jour : Le genre n’existe pas dans la nature
On attribue les origines de ces études sur le genre à Oan Oakley, sociologue et écrivain féministe, qui fit la première la distinction entre le sexe avec lequel on nait et le genre que l’on acquiert (5). De la saine sociologie, appliquée aux rôles assignés aux hommes et aux femmes dans la société. Parvenu face à la source des études sur le genre, l’explorateur note le terroir qui la voit émerger : le contexte des revendications féministes des années 70. Suivons tout de même le cours de ces études. Au cœur de l’étude, il y a ce fameux gender, le genre en français(6). Le genre c’est la convention qui permet que l’on identifie en Occident et au XX e siècle comme « femme » une personne qui s’habille avec une robe, par exemple. Mais le genre est mouvant : un écossais qui porte un kilt n’est pas une femme ! Or, ces conventions ne sont pas anodines. L’Histoire, par la prégnance du patriarcat, suggère que le genre est une invention des hommes occidentaux pour asservir les femmes et instituer la phalocratie.
Et des exemples recueillis dans l’ethnologie permettent d’avérer que la phalocratie n’est pas le seul modèle qui existe : chez telle tribu en Océanie, par exemple, on trouve des hommes qui s’occupent des enfants autant que les femmes. Plus encore certains peuples comme les Hijras du sous-continent indien ou les Muxe de l’Oaxaca (Mexique) admettent un « troisième genre », constitué d’eunuques, qui ont un rôle et un genre à part (7). Pure construction sociale, le genre peut être modelé à l’envie. Dans la mesure où il a été historiquement un instrument d’oppression, on pourrait tout simplement s’en passer pour libérer l’individu.
Arrivé à ce stade, notre explorateur comprend mieux les raisons qui poussent une Julie Sommaruga à préférer le terme de « genre » à celui de « sexe » (8). La député socialiste et féministe ne veut pas que nos chères têtes blondes soient induites en erreur. Les différences entre filles et garçons sont le fait de la société. Ils doivent l’apprendre pour ne pas être enfermés dans un schéma rétrograde, que l’on répète mécaniquement mais qui n’est pas fondé naturellement. Mais, pense notre explorateur, si on sépare le genre comme construction sociale du sexe biologique, et qu’on supprime le genre, il reste le sexe et l’union féconde du mâle et de la femelle, habituellement considérée comme le fondement de la société. Le sexe ne fonde-t-il pas le genre ?
Troisième jour : La procréation sexuée naturelle n’existe pas
Paradoxalement, en séparant le genre du sexe, on peut donner plus d’importance à ce dernier. Le risque est grand de voir émerger une notion de « sexe naturel » tout aussi clivante que celle de genre. Après tout : pour donner naissance à un enfant, il faut un homme et une femme, et c’est toujours la femme qui porte l’enfant, c’est une inégalité fondamentale. C’est pourquoi une féministe comme Christine Delphy le remet en cause « Autant les gens vont admettre que c’est bien une «construction sociale» qui empêche les femmes de grimper aux arbres ou de ne pas être Président de la république, autant ils ont des difficultés à ne pas voir comme une «évidence naturelle» la différence des rôles procréatifs. » (9) Notre explorateur partage la difficulté des gens mentionnés par Christine Delphy, et poursuit ses investigations dans la broussaille touffue de la pensée delphynienne. Le concept de « mère biologique » est une construction sociale, issue d’une certaine culture occidentale. « Il est évident, en effet, qu’expulser un fœtus de son corps ne fait pas d’une femme une «mère» », continue-t-elle. Autrement dit, le lien biologique n’a pas de rapport avec la filiation.
On peut adopter ou abandonner un enfant qui n’est pas le sien, sans que cela ne porte à aucune conséquence sinon celles que nous fait porter l’ordre social « Le problème, c’est qu’on sentimentalise, de façon excessive, des processus physiologiques » conclut avec cohérence Delphy. Les règles de filiations sont produites par la société et par elle seule. Mais comme les sociétés ont du mal à admettre qu’elles créent leurs propres règles, on a fait appel à Dieu pour valider ces règles par le passé, et de nos jours on se réfère à la biologie. « La réunion des cellules nécessaires à la procréation n’entraîne pas l’hétérosexualité, elle n’entraîne rien d’ailleurs, au-delà d’elle-même. Derrière le masque de la biologie c’est la société qui s’exprime, en ventriloque. » (ibid) Notre philosophe féministe voit donc comme des relents du conservatisme de la société toute opposition à l’adoption par les homosexuels et à tous les moyens d’avoir des enfants (adoption, PMA, GPA).
Notre explorateur fatigue un peu… parti à la recherche de la théorie du genre, il ne trouve que des théories qui se fanent aussitôt qu’il essaie de s’en saisir…. Le genre n’est rien d’autre qu’une construction, la procréation hétérosexuelle aussi… Il reste le sexe biologique, le fait qu’un homme ait un pénis et une femme un vagin. Est-ce que cette réalité fondamentale n’impose pas de considérer qu’il existe une différence et une complémentarité entre homme et femme ?
Quatrième jour : la sexualité naturelle n’existe pas
Les gender studies sont vraiment comme une rivière, qui amène si on en suit le cours à des conclusions de plus en plus exotiques. L’idée d’une différence et d’une complémentarité entre sexe masculin et sexe féminin ne va pas faire long feu dans le cours tumultueux du relativisme du genre. Car enfin, l’union des sexes, mâle et femelle, n’est-elle pas elle-même un schéma construit ? C’est tout à fait clair pour Andrea Dworkin, qui l’assimile à un instrument d’asservissement des femmes par les hommes « Le coït demeure un moyen ou le moyen d’inférioriser physiologiquement une femme : en lui communiquant cellule par cellule son statut d’infériorité, en le lui inculquant, en l’imprimant en elle par scarification, poussant et poussant sans relâche jusqu’à ce qu’elle cède » (10). La sexualité n’est pas un îlot, dans lequel les rapports hommes femmes seraient apaisés, bien au contraire… D’ailleurs les homosexuels démontrent que le schéma d’union hétérosexuelle n’est pas le seul existant. Qu’est-ce qui différencie fondamentalement une union homosexuelle d’une union hétérosexuelle ? Juste l’image que la société s’en fait. L’accouplement d’un homme et d’une femme lui même est en fin de compte une structure répétée, imposée par la société, pour asservir les femmes. On comprend mieux dès lors le grand intérêt que portent les artisans des études sur le genre aux revendications des homosexuels : ils sont en avance sur leur temps, déjà délivrés des vieilles structures sociales.
Notre explorateur suit depuis longtemps déjà le cours des études sur le genre, et il lui semble que la direction qu’elles prennent, c’est d’abolir toute différence entre les sexes. Mais il reste un sexe biologique individuel. On sait par exemple qu’il y a des différences anatomiques irréductibles entre hommes et femmes, quelle que soit la culture dans laquelle ils vivent. Notre explorateur n’est pas allé au bout du voyage : il va falloir un jour trouver un moyen d’expliquer une origine à cette illusion unanimement entretenue qu’est l’existence du genre.
Cinquième jour : Le sexe n’existe pas
Mais expliquer l’illusion des genres par l’existence de différences anatomiques ce pourrait être la justifier. Et une féministe célèbre a trouvé une solution aussi novatrice que miraculeuse pour résoudre le problème des « différences anatomiques » entre les hommes et les femmes : elles n’existent pas. Abasourdi, notre explorateur prend conscience qu’il aborde là le point d’arrivée de sa source, le marigot de Judith Butler. Qu’il comprenne bien : il n’y a aucune différence entre homme et femme ? En fait, ce qui lui fait nommer un homme « homme » et une femme « femme » est une construction. (11). Pourtant il y a des indices assez évident, comme la présence d’un pénis ou d’un vagin par exemple, des choses très concrètes, qui semblent échapper à toute critique. Mais Judith Butler répond qu’il existe des cas cliniques qui démontrent le contraire. Tel hermaphrodite ou tel eunuque par exemple(12). C’est cette position radicale qui explique que Judith Butler dans son livre, Trouble dans le genre, se montre stupéfaite que la recherche scientifique fasse encore droit à des critères aussi ridicules que la présence d’un pénis, quand il s’agit de déterminer le sexe d’un individu (13). Là notre explorateur est dans le marigot jusqu’au cou.
Retour piteux…
C’est l’heure du retour pour notre explorateur et il ne lui reste plus qu’à consigner ses aventures dans son carnet détrempé. Mais les mots genre, sexe, mâle, femelle, homme ou femme ont disparu, leur encre a été emportée dans le courant de la rivière. Il n’a jamais remis en cause les théories avancées par les adeptes des études sur le genre et en a benoîtement suivi le cours. Il sait maintenant que cette petite source aboutit à un gigantesque marigot idéologique contre lequel il est difficile d’argumenter, puisque tous les termes du débat sont minés, sujets à caution et en fin de compte inutilisables. Il est mouillé, mais personne ne pourra plus lui dire que la rivière n’existe pas… C’est bien une idéologie qui s’en prend à l’identité sexuelle et qui veut la gommer à tout prix. Elle éclaire parfaitement les amendements visant à placer le terme de « genre » dans les textes de loi. Maintenant, libre aux lecteurs de ses aventures désastreuses de l’appeler « théorie du genre », « étude sur le genre » ou « yéti ».
(1) http://www.aleteia.org/fr/politique/actualites/gender-le-parlement-recule-une-deuxieme-fois-1835001
(2) http://www.najat-vallaud-belkacem.com/2013/06/09/la-theorie-du-genre-nexiste-pas/
(3) http://www.liberation.fr/societe/2013/06/10/la-theorie-du-genre-reponse-au-ministre-vincent-peillon_909686
(4) http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cedu/12-13/c1213031.asp
(5) (1972) Sex, Gender and Society. London: Temple Smith. Reprinted with new Introduction, London: Gower, 1985
(6) genre : concept qui rassemble en un seul mot un ensemble de phénomènes sociaux, historiques, politiques, économiques, psychologiques qui rendent compte des conséquences pour les êtres humains de leur appartenance à l’un ou à l’autre sexe.
(7) http://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_(sciences_sociales)
(8) http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cedu/12-13/c1213031.aspCommission des affaires culturelles et de l’éducation. Jeudi 28 février 2013Séance de 14 heures 30 Compte rendu n° 31.
(9) http://delphysyllepse.wordpress.com/
(10) http://www.chiennesdegarde.com/article.php3?id_article=450
(11)https://docs.google.com/document/d/1rk0RpbuqQwB5ibvKOdfvM0SnpfPewqtwDZHDAJUVnxw/edit
(12) http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1108290700.html
(13) http://blog.turgot.org/index.php?post%2FDrieu-Theorie-du-genre
On peut aussi lire Butler comme la manifestation d’une peur panique de l’autre qui conduit à chercher à déligitimer toute différence.
Peur panique de l’autre parce que si l’autre peut exister alors je ne suis plus moi-même une simple évidence.
Et qui sait, peur panique de l’autre parce que l’autre pourrait conduire à l’Autre.