« Le courage est presque une contradiction dans les termes. C’est un profond désir de vivre qui prend la forme d’une disposition à mourir.[1] » Orthodoxy
Si l’on y pense, on pourrait se dire que les kamikazes, comme les terroristes des attentats de Paris, ont eu une certaine forme de courage. Comment, à 23 ans à peine, arrive-t-on à tirer à la kalachnikov sur des dizaines de personnes puis à appuyer sur un bouton pour se faire sauter soi-même, si l’on n’a pas une certaine dose de courage ? Salah Abdeslam, toujours en fuite, a-t-il eu, lui, moins de courage puisqu’il ne s’est pas fait sauter comme les autres ? On a émis l’hypothèse que les terroristes étaient drogués au Captagon, une drogue souvent utilisée par les djihadistes pour leur donner du « courage ». C’est donc que ce « courage » leur faisait défaut…
Mais s’agit-il ici vraiment de courage ? Au fond, qu’est-ce que le courage ? Est-ce que c’est de ne pas avoir peur de la mort ? Etre prêt à mourir pour des idées ou des croyances ? Ne pas avoir peur du danger ? Prendre des risques ?
Non, tout cela, c’est peut-être ce que l’on pourrait appeler de la témérité, voire de la folie.
Chesterton nous propose, comme très souvent, de voir les choses autrement. « Le courage, nous dit-il, est presque une contradiction dans les termes. C’est un profond désir de vivre qui prend la forme d’une disposition à mourir. » Oui, être courageux, c’est être prêt à mourir, mais pas seulement. Le kamikaze qui appuie sur un bouton pour se faire exploser prend lui-même la décision de mourir. Cette attitude est tout à fait différente de celle qui consiste à accepter les conséquences mortelles d’un acte courageux. Etre prêt à mourir, ce n’est pas être suicidaire.
Etre courageux, c’est aussi, et surtout, désirer vivre. Vous me direz que les djihadistes souhaitaient la mort afin de pouvoir aller au paradis, rejoindre Allah et accéder à la vie éternelle. C’est là que la question du courage rejoint celle du martyre. Chesterton, dans les mêmes pages, oppose justement le suicide au martyre. Le martyr ne recherche pas la mort ; il veut vivre, sur terre, même s’il espère aussi la vie éternelle après la mort. Il attend la mort, il ne la craint pas, mais il ne la désire pas. Le martyr est courageux. Le kamikaze n’est pas un martyr mais commet un acte suicidaire.
Enfin, être courageux, c’est, étymologiquement, avoir du cœur. Finalement, nous pourrions dire qu’être courageux, c’est aimer. Le martyr par excellence, l’homme le plus courageux, c’est le Christ qui accepte de mourir sur une croix par amour pour les hommes. A aucun moment, il ne cherche la mort, mais il est prêt à mourir pour nous. Il a même peur : « Père, éloigne-moi de cette coupe ! » (Marc 14:36). Mais il remet sa peur à son Père, il s’abandonne à lui en disant juste après : « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce tu veux ». Etre courageux, ce n’est donc pas ne pas avoir peur, mais c’est refuser de donner le dernier mot à la peur, c’est s’abandonner dans les bras de Celui qui nous rassure et nous console. Etre courageux, ce n’est pas mourir pour des idées ou des croyances. C’est mourir pour quelqu’un, par amour. Le Christ est mort pour l’Homme. Le martyr meurt pour le Christ.
Les terroristes ne prennent pas de la drogue pour se donner du courage, ni même un substitut de courage. Ils se droguent pour avoir le sang froid qui leur permettra d’appuyer sur la gâchette. Ils ne meurent pas tellement pour quelqu’un, mais dans l’espérance qu’ils iront au paradis et surtout, en plus de chercher la mort, ils cherchent à nuire aux autres, ce qui les distingue, une fois de plus des martyrs.
Le courage est donc une prédisposition exigeante de l’âme qu’il est difficile d’observer dans nos sociétés aujourd’hui. Connaissons-nous au moins une personne qui soit vraiment courageuse ? Sommes-nous courageux ? Désirons-nous profondément vivre tout en étant prêts à mourir ?
Force est de constater que nous manquons terriblement de courage. Nous confondons l’euthanasie (un autre acte suicidaire) avec le courage. Nous nous laissons envahir par la peur en acceptant, tacitement, l’état d’urgence censé nous protéger du danger. L’état d’urgence ne favorise pas le courage : il nous propose une vie dominée par la crainte de la mort, une vie qui renonce à certaines de ses libertés. Or, être courageux, c’est vouloir vivre, mais vivre libre et ne pas se laisser envahir par la peur. Pour (re)trouver le courage qui nous manque tant, il nous faut nous tourner vers la Croix, et prendre exemple sur Celui qui a fait preuve du plus grand courage qui soit : Celui qui a donné sa vie pour ses amis.
[1] « Courage is almost a contradiction in terms. It means a strong desire to live taking the form of a readiness to die. » (Orthodoxy, 248)