À propos de l’avis émis par la conférence citoyenne sur la fin de vie, organisée en novembre 2013 par le Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE).
Le 16 décembre 2013, dans un avis succinct d’une dizaine de pages présenté à la presse, dix-huit citoyens réunis en conférence par le Conseil Consultatif National d’Éthique se sont prononcés, au terme de quatre week-ends de travail et d’audition d’experts, en faveur d’une autorisation du suicide médicalement assisté et d’une exception d’euthanasie. La « possibilité de se suicider par assistance médicale comme l’aide au suicide constituent à [leurs] yeux un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d’une pathologie irréversible, reposant avant tout sur son consentement éclairé et sa pleine conscience »[1]. Si l’avis du panel citoyen a pu marquer les esprits par son contenu, en rupture totale avec les avis récents du CCNE, il a aussi soulevé une vague d’indignation quant au procédé de participation en lui-même, perçu comme incongru, manipulateur et anti-démocratique. Quel est le but poursuivi par la mobilisation de ce panel de citoyens dans une phase préparatoire à un projet de loi ? Quelle est sa portée politique ? Le procédé peut-il être perçu comme une avancée démocratique ou est-il susceptible de se muer en cheval de Troie politique, en outil de légitimation permettant de court-circuiter l’avis des Français ? L’objet ne sera pas ici de revenir sur le contenu précis du rapport ou sur les débats relatifs à une éventuelle révision de la loi Léonetti. Il s’agira plutôt de s’interroger sur le procédé de participation citoyenne choisi, qui revêt une certaine originalité dans le paysage de nos pratiques de l’action publique, et dont l’analyse requiert une documentation précise. Au terme de cette investigation, on verra que sans relever d’une malveillance caractérisée, le recours au panel citoyen par le CCNE comporte un risque élevé d’instrumentalisation politique. Une participation citoyenne aux cadres mal définis et à la portée incertaine fait plus de mal à la démocratie qu’elle ne l’a fait avancer, dans la mesure où elle génère de la méfiance à l’égard de la participation et de l’institution qui l’organise.
Vous avez dit « conférence de citoyens » ?
Les conférences de citoyens ont vu le jour au Danemark dans les années 80 et sont employées de manière croissante en France pour les questions éthiques. Parmi les différents modes de participation citoyenne, elles ont pour objectif spécifique de permettre à un panel de citoyens réputés profanes de dialoguer avec des experts afin d’exprimer un avis sur des problématiques scientifiques et technologiques pour lesquelles les opinions sont divergentes et pour lesquelles une certaine incertitude demeure. À la suite d’une formation préparatoire sur deux ou trois week-end par un ensemble d’experts scientifiques, les citoyens débattent publiquement avec des représentants du monde politique, économique et associatif. À l’issue de ces quelques jours de conférence, le panel rédige à huis-clos un rapport contenant ses avis et recommandations sur la question. Le rapport est rendu public et remis aux instances politiques [2]. Le dispositif a déjà été utilisé à plusieurs reprises, en 1998 sur les OGM, en 2009 sur la recherche sur l’embryon ou en 2011 sur la question de l’adoption par les couples de même sexe.
Le Conseil Consultatif National d’Éthique a été saisi par le Président de la République fin 2012, pour émettre un avis sur une possible réforme de la loi Léonetti, annoncée dans la proposition 21 de son programme de campagne. Le recours au CCNE n’est pas une initiative politique, mais bien une stricte application de la législation [3] puisque la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 préconise que tout projet de réforme sur des questions éthiques ou de société soit précédé d’ « états généraux » organisés à l’initiative du CCNE. Ce dernier a donc une double compétence en matière de consultation : émettre des avis d’experts sur les questions de bioéthique et élargir le débat à la sphère publique. C’est dans le cadre de l’organisation de ces états généraux que la loi prône le recours à la conférence citoyenne : les « états généraux mentionnés à l’article L. 1412-1-1 réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d’indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité » [4]. Le choix de cet outil de participation pour débattre de questions éthiques s’explique par le caractère complexe des sujets scientifiques abordés, nécessitant une formation des participants avant qu’ils n’émettent un avis, de préférence à l’écart de la pression des groupes militants. Le nombre de personnes convoquées se limite à une dizaine pour faciliter le débat et la rédaction du rapport commun.
Une démocratie de laboratoire
Une fois établi ce qui relevait d’une stricte application de la loi, il est possible d’analyser plus précisément le déroulement, les résultats et le rôle de la conférence de citoyens mise en place sur la fin de vie. À l’examen, il apparaît alors que l’avis citoyen ne peut-être détaché de son contexte d’élaboration et que les zones d’ombre qui l’environnent ouvrent largement la voie à la manipulation politique.
En premier lieu, il convient d’examiner la fonction de la conférence de citoyen vis-à-vis du CCNE. L’objet de la consultation du CCNE par le pouvoir politique est de recueillir l’avis d’experts sur des questions éthiques. Le recours à des conférences citoyennes vise à compléter les avis émis par les membres de cette instance par ceux de citoyens-experts. La consultation d’expertise n’est ainsi pas limitée à un groupe socioprofessionnel peu représentatif de la population, susceptible d’avoir adopté au cours du temps des postures trop tranchées voire militantes. Face à un corps scientifique plutôt âgé et masculin, les conférences citoyennes permettraient d’apporter un contrepoids démocratique tout en ouvrant le débat à la sphère publique. En émettant en parallèle de l’avis des scientifiques un avis de citoyens-experts, elles répondent directement à des critiques potentielles sur le biais que pourrait apporter un certain « esprit de corps » inhérent au CCNE.
On peut donc se demander si ce rôle de contrepoids démocratique est bien rempli, si ce panel permet bien de dresser un panorama de l’opinion des citoyens, au terme d’une formation sur la fin de vie. Saluons d’abord l’honnêteté des membres du CCNE, qui n’ont pas procédé à la rédaction du rapport final comme en 2009, n’ont pas posé de questions préalables au débat pour ne pas l’orienter et n’ont pas assisté aux séances. Cependant, s’il y a bien eu volonté de « transparence » autour du dispositif comme le montre la conférence de presse organisée par le CCNE, il manque trop d’informations pour pouvoir vérifier la rigueur scientifique de sa mise en œuvre. La « boîte noire » de l’appareil de participation ne demeure que partiellement accessible et il est difficile d’estimer à quel point le cadre du débat posé par le CCNE a pu l’orienter.
Les questions naissent en particulier du caractère relativement unanime des conclusions émises par le rapport, le seul vrai débat exposé portant sur les modalités de mise en œuvre du suicide assisté, et non sur son bien fondé : les citoyens se demandent si le suicide assisté doit intervenir par administration d’une substance par un tiers ou par auto-administration de la substance par la personne en fin de vie. Le débat de fond sur le suicide assisté n’apparait donc à aucun moment. Est-ce à savoir qu’il ne s’est pas même présenté au sein de l’échantillon prétendu comme représentatif de la diversité des opinions ? Comment a pu être rédigé ce rapport final, relativement univoque, par les dix-huit personnes composant le panel ? Avec quel appui ? Les modalités de sélection des citoyens, définies par l’Ifop, peuvent aussi soulever des questions : les dix-huit citoyens – dix-neuf au départ, avant le retrait de l’un d’entre eux pour « raisons familiales » – ont bel et bien dû accepter de prendre part au dispositif et d’y consacrer plusieurs de leurs week-ends. Or, la volonté de participer à la procédure peut être lié à des prises de parti initiales, même si l’Ifop a veillé à rassembler différentes sensibilités politiques et éthiques. On peut aussi s’interroger sur les possibilités offertes aux citoyens de remettre en cause le cadre défini pour leur consultation, ainsi que sur l’impact du caractère inabouti des préconisations émises sur la réflexion en elle-même : l’avis étant une déclaration de principe sans déclinaison programmatique, le fait de ne pas avoir à envisager avec précision la mise en œuvre du suicide assisté n’a-t-il pas pu jouer en sa faveur ? Les citoyens n’ont pas précisé à qui le droit au suicide assisté pouvait être ouvert et selon quelles modalités précises il pouvait être envisagé. Or, en s’interrogeant sur ces éléments, il est possible de se poser plus en profondeur la question du bien fondé de sa légalisation. À bien des égards, le cadre posé pour la discussion a pu s’avérer contraignant et semble avoir contribué à simplifier les résultats d’un débat de groupe qui n’a pu être que plus complexe et plus riche. En vérité, il y avait bien une question sous-jacente à la consultation, bien qu’elle n’ait pas été exprimée de manière directe : la question – fermée – de la révision de la loi Léonetti pour aller vers une ouverture à de nouvelles options pour le patient en fin de vie. L’avis des citoyens le dit bien : « L’aspect « encadrement législatif » est primordial dans la réflexion sur ce sujet. Quelles lois pour la fin de vie ? L’actuel cadre législatif, à savoir la Loi Léonetti, doit-il être remplacé voire supprimé, amendé ou laissé en l’état ? ». L’avis donne une réponse univoque à cette question, gommant la complexité des débats et pouvant donner l’illusion d’un consensus sur le droit au suicide assisté et à une exception d’euthanasie.
Pour retranscrire la diversité des opinions des citoyens – certes non éclairés -, le sondage effectué par le même Ifop pour l’ADMD s’avère presque plus intéressant. Au-delà du chiffre mis en avant régulièrement par l’association de Jean-Luc Roméro – 92% de personnes favorables à l’euthanasie -, un document produit par l’Ifop [5] pour présenter le détail des résultats permet de les lire de manière plus critique. Le grand « oui » à la question posée –pleine de pathos et sans doute formulée par l’ADMD – se décompose en un groupe de « oui dans certains cas » (48%) et un groupe de « oui tout à fait » (44%). Le document présente ensuite le détail des réponses en fonction de différents critères ayant pu les orienter (opinions politiques, pratique religieuse, accompagnement d’un proche en fin de vie, …). On relève alors que parmi les personnes ayant répondu « oui », 15% connaissent précisément la loi Léonetti, contre 21% des personnes ayant répondu « non ». De même que pour un sondage, le cadre donné à l’expression d’un « avis citoyen » est déterminant pour la nature de ses résultats.
On pourrait encore s’interroger longuement sur la rigueur de cette expérimentation quasi scientifique de débat articulant le profane et l’expert : le consensus exposé garde quelque chose de factice et laisse planer le doute sur les modalités du débat. Au-delà de la seule question de l’honnêteté de la procédure se pose aussi celle de son rôle politique. Pour un résultat dessinant une telle rupture par rapport aux avis émis jusqu’alors par le CCNE, on aurait souhaité qu’il ne se soit pas construit en huis clos – même si ce huis clos est aussi garant d’un détachement des citoyens de toute influence partisane –et selon des règles exposées avec davantage de clarté. Si les incertitudes méthodologiques font craindre une manipulation politique, c’est bien parce que le rôle de l’avis en lui-même est difficile à cerner.
Un flottement existe d’abord quant au statut à conférer aux panélistes. Le panel des 18 personnes choisies par l’Ifop « ne prétend pas à la représentativité compte tenu de sa taille », mais à « refléter au mieux la diversité de la population française et à illustrer la variété des points de vue » [6]. L’objet n’était donc pas de recréer une micro-société française, mais de partir d’une certaine diversité d’opinions en voyant à quel type d’avis leur confrontation à l’expertise pouvait les faire parvenir. Si l’idée était simplement de voir comment des individus ayant des opinions diverses évoluent une fois informés sur un sujet, on resterait clairement dans le registre de l’expérimentation scientifique. Mais à partir du moment où l’intention était précisément de donner la parole aux citoyens français, il fallait bien que l’échantillon soit représentatif de quelque chose. Comment représenter la diversité des opinions sans se fonder sur la diversité des citoyens, au risque d’exclure une part d’entre eux du débat ? Certes l’écriture d’un avis et les modalités du débat imposaient un groupe restreint. Mais si l’objectif de la conférence de citoyen était de donner la parole à la société – et dès lors à tous les citoyens -, quelle peut être la valeur d’un avis qui ne concerne qu’une partie d’entre eux ? Il ne peut apparaître que comme l’avis de quelques citoyens, émis dans le contexte précis d’une procédure de mise en débat avec des experts choisis par le CCNE. Informés (déformés ?) et devenus des sortes de sur-citoyens éclairés, les membres du panel ne peuvent prétendre à incarner l’opinion française, moins encore à incarner les français eux-mêmes. Or l’avis citoyen pourrait prétendre trouver sa légitimité dans la procédure elle-même, formant des citoyens modèles, informés et dialoguant selon un idéal de démocratie policée à l’écart de toute pression partisane. Il s’agirait, en quelque sorte, de faire confiance à des outils issus des sciences humaines et appliqués avec une rigueur scientifique, pour mettre au point une chambre démocratique stérile réunissant les conditions idéales pour qu’opère en toute sérénité la raison et la vérité. La conférence de citoyens pourrait alors se substituer à un véritable débat de société sur l’éthique, constituant pourtant un préalable à toute décision du peuple – notamment par voie référendaire.
Par ailleurs, subsiste de manière plus inquiétante encore un flou quant à la portée du document. Comme il a été évoqué précédemment, ce dernier hésite entre opinion et préconisations, ne constituant pas un programme d’action mais en ayant parfois la forme. Le concept mou de « prise en compte » de l’avis citoyen utilisé le CCNE ne signifie rien de précis, et oscille quelque part entre la prise de connaissance et l’intégration à la décision. Le terme n’est défini que par son opposé : l’avis citoyen ne pourra être escamoté par le CCNE [7]. Dès lors, il est possible pour le pouvoir ou le CCNE de s’appuyer sur l’avis de la conférence citoyenne lorsqu’il va dans leur sens – en lui donnant un poids réel -, comme il lui est possible de l’intégrer en nuançant tel ou tel point en cas d’avis contraire aux visées institutionnelles.
La conférence de citoyen se place donc dans un entre-deux gênant, ouvrant grand la porte à la manipulation politique. Elle se situe dans un glissement entre représentation symbolique et représentation politique, entre consultation et participation. Le terme d’ « avis citoyen » lui-même a quelque chose d’ambigu, se situant entre « l’avis de citoyens » et l’ « avis des citoyens ». Le document n’est pas décisionnel mais participe de la décision : l’avis émis le 16 décembre dernier aura du poids à un moment ou à un autre, un poids sans doute important du fait du caractère exceptionnel de son contenu. D’où le sentiment chez certains citoyens français de s’être fait confisquer le débat, sentiment à l’origine d’une foule de réactions attaquant le procédé en lui-même. Le fait que ce type de dispositifs soit peu connu par les citoyens donne alors une longueur d’avance à ceux qui l’utilisent, sous couvert de démocratisme et de rigueur scientifique. En montrant que les détracteurs de la procédure la connaissent mal, on invalide dans le même temps la contestation, reposant pourtant sur le sentiment bien réel de s’être fait « scientifiquement » confisqué le débat. La forte communication mise en place pour donner de la « transparence » à la procédure, et le fait de dire « les citoyens » plutôt que « des citoyens », donnent l’impression que la parole du panel vaut pour tous et que l’on pourra s’appuyer sur elle pour légitimer ses choix futurs. Dans le discours, le fait de parler d’ « états généraux » ou de « débat public » sans en préciser la nature est très commode et permet de se réfugier derrière un usage incantatoire et rassembleur du vocabulaire démocratique. Les citoyens peuvent alors aisément devenir les boucliers du pouvoir face à toute opposition au projet de loi. Vox populi, vox dei.
Laborieuse démocratie
Or, il convient de souligner le défaut de participation citoyenne autour de la loi en préparation. La faiblesse de la communication sur les modalités du débat – lui-même très maigre au demeurant – est contraire au principe même de débat public et fait craindre une volonté du gouvernement de maîtriser le processus de bout en bout. Lors de la conférence de presse du CCNE, Jean-Claude Ameisen a présenté de la manière suivante les actuels « états généraux » sur la fin de vie : « À notre sens, les états généraux sur la fin de vie ont déjà commencé depuis un an et demi avec la commission Sicard qui a organisé des débats dans des dizaines de villes, qui a fait beaucoup d’auditions et qui a rendu un rapport ; il y a eu la réflexion et l’avis du CCNE, notre organisation de la conférence de citoyens, et nous avons demandé aux espaces éthiques régionaux, qui sont en train de le faire, s’ils le souhaitaient d’organiser eux-mêmes des débats publics et de nous le faire remonter. Donc pour nous les états généraux c’est ça, ça dure depuis un an et demi et je crois qu’il y a peu de questions de bioéthique qui ont fait l’objet d’un débat public qui a duré un an et demi ». Le discours peine à convaincre. Ni la durée du débat, ni sa dispersion aux quatre coins du pays, ni le recours à des modalités de participation diversifiées ne sont les garants du caractère réellement « public » du débat, c’est-à-dire, stricto sensu, de son caractère populaire. Le fait de recueillir la parole habitante ou citoyenne n’a pas de valeur en soi, mais dépend fondamentalement de la manière dont elle est retranscrite et intégrée au processus de décision. Enfin, une concertation n’est efficace que si elle est accessible et si l’on communique à son sujet. En la matière, la communication n’a été que très pauvre autour des prétendus « états généraux » sur la fin de vie. François Hollande lui-même laisse presque entendre dans ses discours que les « états généraux » sont une initiative du gouvernement, alors même qu’il ne fait qu’appliquer la loi. Le président se cantonne prudemment au terme général et commode de « débat public » ou « débat national », sans en définir les modalités [8].
Qui ira spontanément se renseigner et débattre au sein d’espace régionaux d’éthique implantés dans des CHU ? Des partisans suffisamment informés sur le projet de loi ? Des personnes appartenant au seul corps médical ? On est bien loin ici du sens fort que pouvait avoir le terme d’« états généraux » au cours de notre Histoire. C’est donc plus globalement sur les modalités d’organisation du débat public en général qu’il faut s’interroger, au-delà du flou existant sur le déroulement et la portée de la conférence de citoyens. La définition des états généraux que donne la loi reste assez peu précise et ne semble pas être de nature à mobiliser réellement les citoyens. Une fois de plus, il est possible de constater qu’en dehors des effets d’annonce politique, il existe bien un véritable « impensé procédural » de la démocratie participative [9].
Le recours au seul CCNE est lui-même relativement critiquable. Comme instance consultative organisatrice de débat public, elle n’est pas réellement experte en matière de concertation. Il aurait pu être intéressant de recourir à la Commission Nationale du Débat Public comme lorsque cette instance spécialisée dans les débats autour des projets d’aménagement avait pris en charge l’organisation d’un débat public sur les OGM.
L’indépendance du CCNE est par ailleurs toute relative. Son président est nommé par le président de la République, en plus de cinq autres membres, de quatre membres nommés par les ministres et d’un membre nommé par le président du Sénat. Les 39 membres du CCNE sont renouvelés par moitié tous les deux ans et il est convenu que la composition du CCNE évolue au gré des majorités politiques. Le président actuel du CCNE, Jean-Claude Ameisen, est clairement engagé depuis de nombreuses années aux côtés du PS et a fait partie de l’équipe de campagne de Martine Aubry [10].
Lorsque l’on voit l’exemple d’autres « états généraux » organisés par François Hollande, comme en 2012 sur la jeunesse [11], le président semble soudain bien frileux en matière de concertation. Qu’a-t-il bien pu se passer depuis 2012 pour que le débat public sur un projet de cette ampleur soit ainsi limité ? L’une des réponses à cette question est peut-être simplement : la Manif pour tous. Après la montée de mouvements de contestation d’une ampleur exceptionnelle l’année précédente, le temps est pour le gouvernement à l’apaisement des débats, dans la crainte d’ouvrir une nouvelle fois la boîte de Pandore de la Fronde catholique et populaire.
Mais comment serait-il possible, dans un climat déjà tendu démocratiquement, de limiter ainsi le débat public sur la fin de vie, alors même que le projet de loi concernera chacun et que tout le monde tombe d’accord et s’indigne – le panel de citoyens réuni par le CCNE en tête – à propos du défaut criant d’information sur la législation actuelle ? Peut-on limiter l’avis des citoyens à une procédure de démocratie de laboratoire ? L’instrumentalisation des résultats de la conférence de citoyens serait finalement pire qu’une maladresse politique : elle constituerait une véritable faute démocratique. Or, le risque de faire l’impasse sur le débat public et d’avancer à marche forcée est d’autant plus grand que le calendrier parait serré pour l’élaboration du projet de loi : François Hollande avait annoncé au départ une loi sur la fin de vie pour la fin de l’année, mais le renouvellement du CCNE ayant ralenti le travail, elle avait été renvoyée à début 2014, ce qui ne laisse que peu de chance à une authentique prise en charge de la question par les Français.
Un véritable débat public – qui ne peut être organisé de la même manière sur la fin de vie que pour un projet de loi en matière de recherche sur l’embryon – est pourtant le garant d’une réelle liberté de décision pour les citoyens. Les Français devraient pouvoir se saisir de sujets comme le mariage, la famille ou la fin de vie, en débattre et s’informer pour avoir l’opportunité d’en décider autrement que par le seul biais du Parlement , plus représentatif de la vie politique de la nation que de la nation elle-même.
L’urgence démocratique est d’autant plus grande qu’au terme des « états généraux » sur la fin de vie, le CCNE aura à organiser en 2014 ceux sur … la procréation médicalement assistée.
[1] http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_citoyen.pdf
[2] http://www.debatpublic.fr/notions_generales/autres_experiences.html
[3] Code de la santé publique – « Art. L. 1412-1-1. – Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. »
[4] Art. L. 1412-3-1 du Code de la santé publique
[5] http://www.ifop.com/media/poll/2378-1-study_file.pdf
[6] Ifop – Conférence de presse du 16 décembre 2013.
[7] Jen-Claude Ameisen, président du CCNE. Conférence de presse du 16 décembre 2013.
[9] BLONDIAUX Loïc, « L’idée de démocratie participative : enjeux, impensés et questions récurrentes », Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, La Découverte « Recherches », 2005, 316 pages.
[10]