Les Alternatives Catholiques

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ErbiLight 4 : QU’ESPÈRE-T-ON À AN KAWA ?

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Publié le 13 janvier 2015 Aucun commentaire

 

QU’ESPÈRE-T-ON À AN KAWA ?

« Je vois mal l’avenir mais j’espère toujours.[1] »

 

Erbilight ? La guerre en Irak ; la fuite de minorités religieuses vers le Kurdistan ; un jumelage entre Lyon et Mossoul ; un projet fou du Cardinal Barbarin ; un aller-retour en Irak pour presque 90 Français le premier week-end de décembre ; 5 camps de réfugiés visités ; une procession mariale, des distributions de papillotes et de médailles miraculeuses, une vingtaine de journalistes sur place, un buzz sur Twitter, des sourires et des larmes, un peu plus de fraternité entre l’Orient et l’Occident chrétiens, une situation humanitaire qu’on ne peut plus ignorer.

 

 « Nous avons perdu toute confiance en nos voisins »
Mgr Petros Mouchi, archevêque de Mossoul.

Partir en Occident ou attendre la libération de l’Irak pour rentrer chez soi ? La situation est tellement compliquée que les réfugiés restent indécis, et même le clergé irakien. Monseigneur Petros Mouchi disait, en nous présentant les habitants d’An Kawa Mall : « Ne vous étonnez pas si nous proclamons à haute voix que nous avons perdu toute confiance en nos voisins qui d’un seul coup sont devenus nos ennemis. » Cela rend difficilement pensable un retour à la Qaraqosh, à Mossoul, à Bagdad. Mais au cours de la même visite, un jeune prêtre irakien disait que « la solution, c’est qu’ils retournent chez eux. » Le temps qui passe altère les courages. En novembre, les réfugiés d’An Kawa espéraient rentrer chez eux. Aujourd’hui, ils n’espèrent plus, ils sont découragés. Ceux qui en ont les moyens partent. Il y a peut-être entre cinq et dix familles chrétiennes qui quittent le Kurdistan et s’envolent pour l’étranger chaque jour, la plupart pour l’Europe. C’est le souhait de la famille que je rencontre dimanche 7 décembre, dans le dernier camp que nous visitons, le « Camp 128 ».

repas moyen 

Le repas préparé par nos hôtes d’un matin.

Alors que nous déambulons dans le camp de préfabriqués, Thomas, membre de notre délégation, et moi-même, sommes accueillis pour le thé. Cette mère de quarante deux-ans est en train de préparer le repas pour ses enfants quand elle nous invite à entrer chez elle. Disposés sur une nappe par terre au milieu de l’unique pièce, on voit en effet une omelette dans une casserole, le sac de petits pains frais, le fromage blanc épais et les vaches qui rit devant les garnir, le thé dans sa bouilloire et le pot de sucre. Nous nous asseyons autour avec elle, et entamons une conversation pendant qu’elle nous sert. Trois des enfants sont assis avec nous, le quatrième est encore sous la couette à un mètre de nous. Les deux aînées, Sandra et Merna, ont dix et neuf ans. Les derniers sont des jumeaux de cinq ans : Marc qui dort, et Martin. Nous ne voyons pas leur père car il est à l’église, en train de récupérer du matériel. Il a un frère en Suède et une sœur en Allemagne, et souhaiterait émigrer avec les siens en Suède, s’il avait de l’argent.

famille_camp 128

 Merna et ses deux petits frères, Marc et Martin, dans leur logement.

Ils habitaient à Bartallah, village chrétien près de Qaraqosh. Ils ont pu fuir en voiture au début, puis ont dû continuer à pied. Les meubles qui sont dans la maison préfabriquée sont vraisemblablement des dons. Malgré le peu d’informations que nous pouvons réellement échanger, faute de vocabulaire, nous échangeons, au sens propre. Pendant plus d’une demi-heure, nous buvons leur thé, grignotons un peu de pain, acceptons les chewing-gums que Marc tire d’entre les matelas empilés sur le côté, et offrons en échange des médailles miraculeuses de la rue du Bac et des images du 8 décembre portant au verso l’histoire particulière de cette fête à Lyon et les dessins d’enfants des écoles chrétiennes lyonnaises.

Martin redimensionné

Martin, 5 ans.

Cette famille très jeune, nous l’avons croisée dans un moment de vie : autour d’un repas, dans le calme d’une belle matinée ensoleillée, presque au sortir du sommeil, dans une conversation modeste. Pourtant, comme beaucoup, ils sont sans doute encore en état de choc ; il leur est souvent impossible de raconter vraiment leur fuite, ce sont les prêtres qui en font le récit. On estime à 2,7 millions les réfugiés au Kurdistan, toutes minorités confondues, pour 6 millions d’habitants. Nous sentons qu’il est très important pour eux de ne pas se sentir oubliés par l’Occident. Le pire serait que le monde cesse de savoir ce qui leur arrive. L’archevêque de Mossoul se réjouit d’ailleurs de voir qu’aujourd’hui « il y a en France des Chrétiens fidèles à leur foi, fidèles à leur Église. » Ce qui nourrit peut-être son espérance, c’est que nous pouvons être les gardiens de nos frères.

 

« On a besoin encore de beaucoup de choses. »
Mot du représentant Conférence des Evêques de France en Irak.

La Conférence des Evêques de France s’occuperait de 22 camps à Erbil. Son représentant en Irak nous présente ce « Camp 128 » : avant, les 220 familles réfugiées dans ce camp étaient dans des jardins. A cause des intempéries de l’hiver qui arrivait, ils ont construit un camp de 206 préfabriqués. « Dieu merci, dès le début de notre travail nous avons reçu beaucoup d’aides des ONG, notamment chrétiennes. Mais on a besoin encore de beaucoup de choses. On est entré dans le 4e mois. L’hiver, au nord de l’Irak, il fait assez froid. » Lorsque les températures descendent sous zéro, le chauffage devient nécessaire. Or, le générateur électrique du camp est trop faible pour le nombre de réfugiés : il produit 70KW alors que 400KW seraient nécessaires. C’est d’ailleurs l’ensemble des habitants d’Erbil qui manque d’électricité, faute de fuel. A son tour, le responsable logistique du camp, après nous avoir souhaité la bienvenue, hiérarchise les besoins du camp. La première nécessité est un générateur, puis la nourriture quotidienne, enfin du ciment pour assainir le sol, déjà humide et malodorant. Enfin, il faudrait des médicaments et un médecin. Cela nous est confirmé quelques minutes plus tard par la maman de la petite Santa : elle nous montre les boutons qui rosissent les joues de sa fille ; celle-ci est malade et il n’y a pas de médecin pour la soigner.

rue camp 128

Une rue du « Camp 128 ».

Si les besoins sont immenses, et pas seulement dans ce « Camp 128 » d’An Kawa, les associations ne ménagent pas leurs efforts. J’ai recueilli en ce début de janvier le témoignage d’Anne-Lise Blanchard, qui vient de passer trois semaines entre le Kurdistan, la Syrie et l’Irak. Membre de SOS Chrétiens d’Orient, elle peut expliquer comment les ONG contribuent concrètement à l’amélioration de la vie des réfugiés. A An Kawa, entre 3 et 8 membres de cette association sont présents en continu depuis le 9 août. L’association a installé une station d’assainissement de l’eau au camp d’An Kawa Mall, avec l’aide des réfugiés dont c’est le métier. Leur nourriture de base leur est donnée par l’UNHCR et SOS chrétiens d’Orient complète avec des fruits, en apportant par exemple 600 kg de pommes par semaine à An Kawa Mall. Ils organisent chaque semaine des activités ludiques pour les enfants, et maintenant pour les adultes également : coloriage, masques, danses, nettoyage d’An Kawa Mall avec un prix à la clé, concours de backgammon, installation d’un café à An Kawa Mall, concours de volley, diffusion d’un film par semaine et par camp pour les enfants, cours de français pour les adultes qui veulent partir – ils sont plus nombreux maintenant qu’en octobre.

Des associations fournissent manteaux, radiateurs, tapis, équipement électro-ménager. SOS chrétiens d’Orient en fait autant, mais pourvoit en particulier au matériel pour les bébés (couches, lait maternisé, etc.). L’association a ouvert un préfabriqué médical en août, et deux autres au sein du complexe médical dans le camp nommé « Four Towers » ; ce sont bien sûr des professionnels irakiens, issus des réfugiés, qui exercent leur métier de médecin, de gynécologue, de dentiste… Une bonne chose est que les réfugiés fonctionnaires ont encore leur salaire qui leur est versé chaque mois. Enfin, à Oum El Nour, ces jours-ci, l’Eglise a acheté un terrain sur lequel ont été installés mille préfabriqués pour reloger les habitants du camp d’An Kawa Mall, où la promiscuité, l’obscurité, les courants d’air rendaient la vie difficile.

Les membres de SOS Chrétiens d’Orient n’agissent pas seuls mais en collaboration avec les Irakiens, qui font partie de leurs équipes, et avec les autres ONG, confessionnelles ou non. On s’intéresse également, à An Kawa, aux familles réfugiées isolées des camps ; il s’agit de repérer et de suivre ces chrétiens, ces yézidis seuls. Ils peuvent être plusieurs dizaines dans une maison qu’ils louent aussi cher qu’à Lyon car le prix des loyers a triplé. Leur situation est critique et mérite une attention particulière.

 

« Chers amis, ce que je vais vous dire n’est pas une exagération :
c’est par l’aide de notre Seigneur que nous allons nous en sortir. »
Mgr Petros Mouchi.

Alors notre week-end à Erbil était vraiment comme une visitation : en visitant Elisabeth, Marie va l’aider dans les douleurs de l’enfantement. Notre soutien est matériel et spirituel, et ne peut être l’un sans l’autre. Désormais, Notre-Dame de Fourvière a sa statue dorée à An Kawa. Nos diocèses ne peuvent plus s’ignorer l’un l’autre. Notre pèlerinage, comme tout pèlerinage, nous a confrontés à la réalité. L’image que nous nous faisions des lieux a pris chair, souvent douloureusement. Le pays de Babylone n’est pas comme nous l’avions imaginé. Mais, ainsi que nous l’enseignait Mgr Batut dans l’avion de l’aller, notre Dieu n’est pas venu rêver l’histoire mais la partager avec nous. Nous devons donc partager l’histoire des autres, et leurs épreuves.

soeurs

Rencontre entre une sœur apostolique de Saint Jean, du diocèse de Lyon,
et une religieuse d’Irak, dans le camp d’An Kawa Mall.

Le chemin spirituel que vivent nos frères d’Orient dans leur martyre, nul ne peut le dire à leur place. Mais nous, que nous dit notre foi, devant cette situation de chaos ? Un des noms du Messie est « le Consolateur », nous rappelle notre cardinal au moment de célébrer notre dernière messe au patriarcat de Monseigneur Sako : « Il est capable de donner une consolation quand la consolation est impossible. » Nous voyons la dévastation de la Mésopotamie, le lieu où la civilisation a commencé… Et nous avons l’impression qu’il faut tout recommencer. Où est le fruit de ces millénaires de culture, avec tant de violence ? Mais le commencement, dit Monseigneur Barbarin, c’est aujourd’hui. Dieu crée le monde : « si aujourd’hui, c’était le commencement d’un monde nouveau ? »

Nous ne pouvons que souhaiter à nos frères et sœurs visités le cheminement du psalmiste, qui d’abord se lamente, abandonné qu’il est à la violence et au désert :

« Malheur à moi de vivre en Péshek, d’habiter les terres de Qédar !
Mon âme a trop vécu parmi des gens qui haïssent la paix.
Moi, si je parle de paix, eux sont pour la guerre.[2] »

… puis est conduit à reconnaître, confiant, la présence du Très-Haut à ses côtés :

« De jour, le soleil ne te frappe, ni la lune en la nuit.
Le Seigneur te garde de tout mal, il garde ton âme.
Le Seigneur te garde au départ, au retour, dès lors et à jamais.[3] »

 

[1] Père Sarmad Kallo, o.p., 34 ans, irakien, réfugié.

[2] Psaume 120 (119), 5-7.

[3] Psaume 121 (120), 6-8.

 

 

Crédit Photo : www.erbilight.org et Thomas Gallice.

Manon

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