Les Alternatives Catholiques

Les Alternatives Catholiques

Atelier de formation | Laboratoire d'action – Café & Coworking "Le Simone" à Lyon

Les catholiques savent-ils encore comprendre des images ?

Articles
Publié le 3 août 2024 Aucun commentaire

(oui, le titre est exagérément polémique)

Certaines images de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris ont causé un certain nombre de réactions et de remous, jusqu’à des prises de position dans le monde catholique extrêmement fortes, évoquant des blasphèmes et des sacrilèges et appelant à des messes de réparation. Ces dernières réactions m’ont sidéré. Cela m’a conduit à chercher à clarifier quelques points spécifiques, en plus de ce qui a été dit ailleurs.

Je commencerai par parler de moi, pas par passion particulière mais pour essayer de clarifier d’où je parle (et cela donnera davantage de prises pour me critiquer). Le lecteur pressé peut sans mal passer directement à la suite, sur la façon dont le catholicisme réagit avec un certain retard sur la société au risque d’être en porte-à-faux, voire glisser jusqu’à la dernière partie, avec le problème que pose la compréhension et l’interprétation des images dans un monde (français, si ce n’est occidental) qui se déchristianise à vitesse croissante.

 

  1. D’où je parle et ce que je vois

Je me suis posé la question, et on me l’a posée quand j’ai commencé à échanger, d’un certain manque d’empathie avec mes coreligionnaires qui se disaient blessés. Car je ne me suis jamais senti blessé par cette désormais fameuse citation de la Cène, et j’ai toujours du mal à éprouver qu’on puisse vraiment l’être. Je pourrais évoquer un certain nombre d’arguments autour d’une utilisation irraisonnée du vocabulaire du sacrilège et du blasphème, jusqu’aux déclarations parfaitement choquantes d’un célèbre influenceur catho qui semble être sorti de ses rails à cette occasion, mais d’autres l’ont analysé mieux que moi. Je peux renvoyer à cette bonne synthèse de Jean-Pascal Gay ou encore à ce fil Twitter (pardon, à ce thread sur X).

Il y a sans doute aussi mon côté universitaire (c’est parfois devenu une insulte ou une tare sur les réseaux, mais il faut bien faire avec ce qu’on est). Ma formation classique et théologique m’a donné l’habitude de penser de façon dialectique, quitte parfois à douter davantage qu’à affirmer. Il y a également un effet de mes sujets de recherche, le judaïsme et christianisme au 1er siècle, qui me donnent l’habitude de me représenter la foi juive et la foi chrétienne dans leurs liens profonds comme dans leur altérité réciproque, avec toutes les questions que cela pose, et de les voir, l’une et l’autre, sur le fond commun d’un monde païen sur lesquelles elles tranchent.

L’expérience des Altercathos et de la vie au Simone a forcément joué un rôle, ainsi que de nombreux échanges sur les réseaux qui n’ont pas seulement été l’occasion de longs débats, parfois hargneux voire stériles, mais qui m’ont aussi fait entendre, malgré les effets de bulle qu’on connaît, d’autres sons de cloche qui ne m’auraient pas atteint dans mon réseau habituel.

Il y a enfin la prise de conscience aiguë ces dernières années des manquements de l’Église, notamment dans ce qu’on appelle faute de mieux la crise des abus. Cela m’a fait sortir d’une disposition catholique parfois un peu facile consistant à s’abriter derrière l’enseignement professé par les prêtres et les fidèles autour de moi pour argumenter en toute bonne foi et sans grand risque sur un discours dont on ne questionne pas jusqu’au bout la pertinence, au risque d’émousser le sens de la vérité et de la liberté au nom d’un attachement communautaire.

Tout cela rend me rend certainement moins sensible à ce que d’autres perçoivent comme des piques ou des attaques insupportables contre l’Église : les caricatures (quand il s’agit bien de cela) ne me touchent plus de la même façon, dans la mesure du moins où elles pointent de vrais problèmes.

Je crois donc que c’est en gros à partir de cette position que j’ai été surpris par le ton et la virulence d’un certain nombre de réactions : je ne suis pas particulièrement fan de drag-queens et je ne me repasserai pas la cérémonie d’ouverture en boucle les soirs de déprime (contrairement à certaines médailles d’or particulièrement enthousiasmantes), mais je suis resté perplexe, parfois heurté par un certain nombre de prises de position publiques – je ne parle pas des échanges que j’ai pu avoir avec tel ou tel et me faisant part de réactions plus variées et nuancées. Comment peut surgir un mot tel que « blasphème » face à une représentation devenue aussi banale que le tableau de Léonard de Vinci ?

 

  1. Ce que les catholiques voient, parfois

Le problème est celui du rapport aux images et à un certain imaginaire. Reprendre, même de façon fugace, la Cène de Léonard de Vinci, pourquoi est-ce si sensible pour certains, et pas pour d’autres ? Isabelle Saint-Martin a posé la question à la fin de sa tribune du 1er août dans Le Monde, en écrivant :

« Banquet festif ou banquet eucharistique ? La réponse reste en suspens, mais la question du genre ajoute à l’effet transgressif. Des chrétiens sont sensibles à cette dimension d’accueil alors que d’autres sont heurtés par un humour potache, ou le jugent inadapté au contexte international de la cérémonie. La réaction dépend aussi de l’aptitude à distinguer une représentation figurée, aussi canonique soit-elle, et son contenu théologique, c’est-à-dire à inscrire l’image dans une culture visuelle. En cela, ce spectacle qui se veut inclusif suppose la maîtrise de codes culturels loin d’être partagés par tous. »

C’est sur cette idée de « culture visuelle » que je voudrais rebondir. Il me semble en effet qu’il y a un effet de rémanence dans le regard des catholiques qui conduit à une forme de trompe-l’œil ou à tout le moins de décalage Il demeure un certain nombre de repères, à la fois doctrinaux et culturels, qui apparaissent comme cohérents, encore ancrés dans notre société et fondamentalement positifs, jusqu’à être plus ou moins indiscutables puisque supports de notre vie de foi. Nous vivons dans le cadre de ces repères, dans des communautés qui les partagent en tout ou en partie, d’une manière qui permet d’établir des liens vivants et étroits entre un certain nombre de représentations. Ainsi, pour un certain nombre de croyants, puisque le tableau de Léonard de Vinci représente la Cène, dans une culture européenne façonnée par le christianisme, pour des croyants qui y voient le cœur de leur foi, alors le fait de citer ce tableau dans un cadre inapproprié, ce serait nécessairement singer son contenu, et donc être sacrilège.

Certes, je reste assez convaincu qu’une dimension essentielle du problème tient au fait qu’il s’agissait de drag-queens, perçues à la fois comme anormales ou à tout le moins provocatrices en brouillant les frontières entre les sexes (leur existence créant ainsi une tension pour un certain nombre de croyants soucieux de voir la réalité correspondre à des normes claires) et comme militantes anti-Église (même si la réciproque n’est sans doute pas fausse, au moins chez un certain nombre des croyants évoqués dans la parenthèse précédente). Un même tableau avec d’autres figures n’aurait pas provoqué la même colère mais, et je reviens ici à mon point, il reste la question du rapport à cette image. Une partie des catholiques semble (ou affecte de) vivre encore mentalement dans une situation où la foi catholique est évidente, majoritaire de droit sinon de fait, et encore appuyée sur un fond réputé incontestable d’enseignements, d’histoire et de manifestations culturelles. Représenter le tableau de Léonard de Vinci, ce serait de proche en proche toucher l’Eucharistie et donc le cœur de la foi chrétienne.

En vérité, l’Église a un rapport aux images plus fin, ce pour quoi il ne peut manquer de surprendre que certains aillent au-delà de l’affirmation qu’il s’agit d’une légère provocation (c’est toujours envisageable, même si les auteurs principaux s’en défendent) pour parler carrément d’un blasphème ou d’un sacrilège exigeant une (si ce n’est plusieurs !) messe de réparation, hors de toute mesure et surtout hors de tout cadre canonique, le sacrilège n’étant pas constitué.

Le problème n’est donc pas celui d’une théologie des images, sur le fond, c’est celui d’une attitude partagée par bon nombre de chrétiens qui conservent une exigence particulière vis-à-vis de la société – alors que nous affrontons un processus inédit, et à bon droit préoccupant, celui d’une déchristianisation à large échelle qui succède à un régime plus ou moins historique de chrétienté où l’on pouvait s’imaginer, par reconstruction un peu facile a posteriori, que tout se répondait d’une façon plus ou moins directe : la foi, les mœurs, l’art, etc. Et sans doute les attentes envers cette société sont-elles aujourd’hui d’autant plus vives que ce glissement commence à se sentir et à générer une réaction si inquiète que l’on préfère ne pas le regarder en face.

Dans cette perspective, ce qui s’écarte de ce qu’on considère comme l’Église/les chrétiens/leurs valeurs (de façon souvent peu distincte) devient forcément une atteinte, une remise en cause, c’est-à-dire une menace de destruction – quand ce n’est pas tout simplement satanique. Mais c’est encore penser les choses de l’intérieur d’une Église conçue comme société idéale et vouée à être reconnue comme telle, telle quelle.

Cela revient à annuler toute reconnaissance de l’altérité réelle d’une partie de la société dans laquelle nous vivons. Certes, il y a des conflits avec l’Église, de véritables adversaires. Mais on ne peut sérieusement penser qu’il suffit de se dire à l’intérieur de l’Église pour être pleinement dans le juste et le vrai, tandis que ce qui est au dehors serait au mieux neutre, voire mauvais. On l’a assez vu récemment : l’Église doit toujours être capable d’entendre et de discerner ce qu’il y a de bon dans le monde. Sa vocation est de reconnaître et de contribuer à faire croître tout ce bon qui peut surgir dans le monde et qui manifeste le plan d’amour de Dieu pour sa création. Quant à ce qui est mauvais, ou à tout le moins imparfait, s’il blesse ce dessein de Dieu, il n’est pas pour autant une atteinte à l’Église : son rôle n’est pas d’être blessée, mais de faire venir à la lumière ce qui veut rester dans l’ombre.

Or, au niveau culturel, la situation bascule. Les artistes ont une conscience de plus en plus inégale de ce qu’est la culture chrétienne, loin des athées militants qui connaissaient les enseignements de l’Église et luttaient contre elle pied à pied. L’incompréhension de ce qu’est l’Église et de ce que sont les croyants grandit. Autrement dit, toute image qui reprend quelque chose du patrimoine des croyants sur un autre mode n’est pas nécessairement conçue par son auteur, ou à recevoir par les croyants, comme une attaque – sans parler de sacrilège. On ne peut pas considérer une énième citation d’un des tableaux les plus connus et les plus repris, depuis les t-shirts à touristes jusqu’aux affiches présentant le casting de séries américaines (Battlestar Galactica, Dr House, Lost… pour celles que je connais, mais la liste est longue), comme le serait cette même mise en scène dans ou devant une église, par des croyants ignorants ou des athées militants.

 

  1. Ce que nous autres catholiques avons à voir et à faire voir

Ces réactions parfois outrées (une fois encore, ma réaction concerne surtout ces extrêmes) sont d’autant plus regrettables qu’elles empêchent de prêter attention à un enjeu qui me paraît bien plus criant dans ce genre de cérémonie que la reprise supposément subversive d’éléments de culture chrétienne pour nuire à l’Église. La multiplication des symboles et leur caractère plurivoque ont été explicitement revendiqués. Que cela soit intentionnel et assumé dans une perspective d’inclusivité n’en pose pas moins une question dont nous ne nous emparons pas encore suffisamment : l’enjeu du sens, voulu, reçu ou encore interprété dans un monde où l’évidence chrétienne s’efface. Quand un symbole est utilisé, quelle était l’intention de l’auteur, quel effet suscite-t-il, comment peut-on l’analyser plus en profondeur ? Le bibliste que je suis ne peut manquer de s’interroger sur ces questions d’interprétation.

Les repères ont bougé : il est tout de même étonnant que, pour parler de Paris et de la fête, on aille entre autres puiser dans un imaginaire polythéiste, gréco-romain (Dionysos, mais aussi Épona ou Séquana selon les versions). On y ajoute quelques événements historiques, et cela crée des symboles dont on ne sait exactement que conclure, laissés à la libre interprétation de tous (mais avec parfois le besoin de clés plus précises pour en comprendre au moins le premier sens, comme le rappelle Isabelle Saint-Martin dans l’article cité plus haut).

C’est une difficulté, mais les chrétiens ne devraient pas l’aborder en se sentant visés. Faut-il vraiment, face à l’image fugace d’un banquet à composante divine, convoquer de façon exclusive la Cène (par l’intermédiaire d’un tableau spécifique qui n’est pas en lui-même une image sacrée), en oubliant la signification civique et religieuse des banquets dans l’Antiquité, ou même celle de convivialité des banquets dans notre société ? La scène enchaînait d’ailleurs aussitôt de façon claire sur la figure de Dionysos et donc sur un banquet olympien : la cohérence de la scène est à prendre en compte, même si quelques secondes peuvent avoir un sens plus spécifique. La représentation n’est donc pas un bloc univoque, à recevoir comme nécessairement parodique et moqueuse.

Il en va de même pour un autre tableau qui a suscité beaucoup d’interrogations : la cavalière descendant la Seine sur un cheval mécanique. Là encore, la polysémie était voulue par les créateurs. Mais si l’on veut y voir l’un des quatre cavaliers de l’Apocalypse, en raison de sa couleur et de l’obscurité ambiante, qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Si l’on considère que, par sa valeur, l’interprétation chrétienne est la plus importante, que faut-il en conclure ? Qu’il y a un message (mal) caché, que les chrétiens, eux, comprendront, annonçant une catastrophe imminente et dont certains auraient connaissance ou qu’il souhaiteraient, ou encore qu’un groupe puissant fomenterait (tout en laissant traîner des indices gros comme le nez au milieu de la figure) ? Ce genre de surinterprétation peut conduire en définitive à des lectures délirantes.

La vraie question, c’est de savoir s’il faut interpréter automatiquement des symboles en fonction de leur sens chrétien, comme si c’était forcément la meilleure lecture voire la seule, et de mesurer ce que cela impliquerait. À force de vivre dans un monde christianisé, à l’échelle des siècles et/ou simplement dans nos milieux de vie, nous oublions peut-être qu’il y un sens aux mots et aux symboles en dehors de ce que les chrétiens en ont fait.

En réalité, on se retrouve face à un imaginaire polymorphe voire mollement polythéiste, que ses auteurs considèrent sans doute la dimension religieuse comme partiellement démonétisée, mais dont la portée symbolique infuse encore. Il est vrai que la Renaissance, toute chrétienne qu’elle ait pu se présenter, ne s’est pas privée de puiser en masse dans l’Antiquité et la mythologie. Mais la référence chrétienne, elle, s’effrite désormais de façon accélérée et nombre de catholiques ne s’aperçoivent plus que ce qui leur parle culturellement ne parle plus au monde.

La conséquence est que, progressivement, tout ce qui a constitué un univers de sens chrétien doit être réinvesti dans un monde qui s’en éloigne progressivement et qui n’a plus un sens tout fait. La référence chrétienne joue encore, par inertie, par le poids qu’elle a dans la culture – mais la culture classique elle aussi devient progressivement moins intelligible, risquant d’emporter avec elle sa dimension chrétienne. Une image ne signifie pas immédiatement et nécessairement ce qu’elle est censée signifier dans notre univers symbolique : il faut distinguer une référence voulue par l’auteur et une clé de lecture propre à celui qui reçoit l’œuvre. Un cavalier pâle dans l’obscurité n’est pas en soi, de façon universelle, une annonce de l’Apocalypse (et encore faudrait-il préciser ce qu’est l’Apocalypse en ce sens). S’il doit l’exprimer, alors il faut à nouveau justifier pourquoi un cavalier, pourquoi cette couleur, pourquoi son apparition à tel moment, etc. Les symboles bibliques sont eux-mêmes, du reste, ambivalents : pour ne prendre qu’un exemple, le lion renvoie à Juda et donc au Christ, c’est aussi celui de Marc (ou de Jérôme, par erreur, mais nous en parlerons une autre fois) mais c’est aussi une figure courante de la sauvagerie, et même du diable (1 P 5,8).

 

Il y a un travail nouveau à faire. Tout comme les dogmes ont été progressivement formulés et précisés, avec les outils conceptuels du temps, pour exprimer la foi de l’Église, nous devons être capables de créer un lien nouveau entre la Révélation, dans ses médiations que sont les Écritures et la Tradition, et le monde, à partir du langage y compris visuel qui est le sien. Il se trouve que cet effort n’est pas inédit : c’est celui des chrétiens des premiers siècles. Mais alors que ceux-ci étaient ignorés ou moqués (voire persécutés) pour leur nouveauté, nous le sommes pour ce qui apparaît dépassé, même si nous savons que nous portons toujours un Verbe à la fois éternel et nouveau.

Cette démarche est spirituellement plus exigeante, car elle implique d’accepter que le monde soit « autre » : pas intrinsèquement hostile ni inintelligible, mais dans un rapport de distance avec nous. Cela nous engage à nous engager dans une relation qui rende la Révélation intelligible et désirable, à nouveau, dans notre temps. Il ne s’agit plus de répéter, mais de créer, il s’agit d’infuser dans la culture ce que nous avons reçu, de retrouver la profondeur et la richesse des Écritures pour sortir d’une attitude souvent paresseuse et accrochée à des évidences qui relèvent du raccourci faussé mais pas moins asséné aux autres. Il s’agit d’accepter que des symboles fonctionnent différemment, librement, ou qu’ils nous soient retournés : qu’une Cène intégrant des personnes que l’Église regarde d’un œil torve ne soit pas une provocation, mais la réactivation d’une image d’accueil par le Christ dans un banquet joyeux. Or n’est-ce pas précisément l’occasion de rebondir sur cette image en rappelant l’espérance qui est la nôtre d’un repas de fête dans la demeure de notre Père, invitant les pauvres et les exclus, et en faire un appel à se laisser rejoindre par la grâce du Christ ?

Cela implique de ne plus s’imaginer être dans une posture surplombante, alors qu’elle est, à vue humaine, marginale, et de savoir entrer dans un dialogue suffisamment intense pour irriguer à nouveau la culture, au lieu de se contenter de déplorer son altération. Un monde passe, oui, sans doute, dans notre pays, dans le monde occidental, peut-être. Mais que ferons-nous de celui qui s’ouvre, si nous pensons que la vérité et le langage qui la portent sont derrière nous, alors qu’il y a un défi de nouvelle évangélisation d’une profondeur inédite dans notre société depuis l’Antiquité ? On sait qu’une minorité qui a été majoritaire continue assez longtemps à se comporter en décalage avec son statut réel. Acceptons d’être minoritaires, désormais, c’est-à-dire renonçons à croire que nous devons avoir une emprise sur la société, par héritage ou par notre simple existence. Mais soyons croyants. Croyants, et à nouveau créatifs, à nouveau énergiques, à nouveau attractifs, d’une façon nouvelle qui nous échappe encore mais qui ne pourra plus être assénée. Tout ce qui permet d’articuler culture et foi doit être réinventé : l’inculturation est à recommencer chez nous.

 

Pour finir, faut-il le rappeler, cette altérité que nous avons à rencontrer de nouveau est au fondement même de l’expérience chrétienne, à la suite de celle du judaïsme, ce petit peuple aimé de Dieu affronté à de grands empires. Elle est constitutive des Écritures, comme Philippe Lefebvre (op) le rappelait dans un rapide message il y a quelques jours : la Bible « ne cesse de dialoguer avec les cultures ambiantes, de les admirer, de les houspiller, de les engueuler, de les chérir etc. », elle est elle-même cette intégration de l’autre, par toutes les modalités possibles. Les Écritures ne sont rien si elles ne sont pas un dialogue. Et nous voudrions les figer dans une signification appauvrie propre à notre époque ? Ne perdons pas de vue que la rencontre ultime, c’est celle du Tout-Autre. Et que si tous nos discours et nos images n’arriveront jamais à l’enfermer, notre vocation reste de le louer et lui rendre grâce par tous les moyens humains à notre disposition.

Hieronyme
Homme de l'Antique. Exégète à ses heures.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *