Il est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !
Quelle joie, chaque année, toujours neuve et qui nous renouvelle !
Et pourtant quelle tristesse avons-nous eue aussi au cœur ! L’Église était dispersée, au sein d’un monde frappé par un mal qui nous fige pendant que les soignants se démènent jusqu’à l’épuisement – certains au prix de leur vie – et pendant que d’autres métiers, si peu considérés d’ordinaire, continuent à faire vivre tous ceux qui sont enfermés. L’Église, au milieu du monde, en partage les contraintes. Ainsi, alors que son nom lui-même désigne le rassemblement des fidèles, nous nous sommes retrouvés dispersés. Plus, même, cloîtrés : chacun à part, seul ou dans des cellules amicales ou familiales réduites.
Alors nous avons vécu la liturgie de ces trois jours, saints entre tous, là où nous étions, comme nous avons pu, souvent avec des écrans ou des radios, Certains ont voulu croire que c’était le moment de polémiquer, de feindre de découvrir l’existence de messes télévisées et de s’insurger contre l’idolâtrie de l’image, citant pompeusement Bernanos et sa détestation bien compréhensible de tous ces moyens techniques qui désincarnent. Quelqu’un a même cru bon de parler de « misère spirituelle » devant ce qu’il supposait être la démission des paroisses au profit du « virtuel ».
Et pourtant… Ce n’est pas de misère, c’est de tristesse et d’exigence spirituelle qu’il fallait parler. Si certains, confinés en famille ou entre amis ont pu trouver dans la mise en place d’une véritable liturgie familiale les moyens de vivre à leur façon, entre eux, l’événement de la Résurrection, combien ont pu profiter spirituellement d’une communion certaine avec leur paroisse ou leur évêque ? Sans illusion, bien sûr, et même dans les larmes : quoi, cette pauvre célébration de deux prêtres, quelques chanteurs et des fidèles invisibles, voilà donc la grande messe solennelle, de joie, de mon diocèse ? Même dans les plus jours les plus solennels, il faut donc nous abaisser jusqu’au plus grand dépouillement ? Le peuple de Dieu réuni autour de son évêque, ce n’aura pas été moi, bourgeois d’Ainay, mais les colocataires de Marthe et Marie, et de Lazare. Et cela même dit déjà quelque chose de notre Église, de celle que nous voulons.
Loin de nous plonger dans l’illusion confortable que tout se passe comme d’habitude, ces célébrations vécues à travers des écrans et des gestes personnels ou collectifs presque dérisoires, ont creusé douloureusement notre désir spirituel et nous ont recentrés sur l’essentiel : une liturgie, reçue malgré tout par nos yeux, nos oreilles, nos attitudes corporelles, avec ses lectures, ses chants, ses prières, l’œuvre accomplie par un prêtre, pour l’Église, en véritable communion avec elle, pour faire jaillir de nos cœurs la joie de Pâques. Non pas par une simple communion dans les mots, mais dans une présence les uns aux autres, au même moment, par nos gestes, nos paroles et nos prières, de façon d’autant plus forte et urgente que la communion était physiquement brisée. L’expérience en commun de ce temps singulier qu’est la liturgie aura été une véritable expérience spirituelle, le support d’une véritable communion, et combien plus encore quand ceux qui célèbrent ne sont pas des figures vagues, mais les pasteurs que nous connaissons, et qui nous connaissent.
Alors oui, cette joie en nos cœurs, mêlée de larmes, bien sûr, n’était pas celle de la foule en liesse, transportée par cette joie incommensurable, dont nous avons l’habitude. Nous ne pouvions pas nous laisser passivement porter par la joie. Il a fallu en quelque sorte poser un acte de foi supplémentaire pour recevoir la joie du Ressuscité, celui que l’Église n’est pas présente uniquement lorsqu’elle se rassemble physiquement, même si cela reste la source et le sommet de son existence. Les moyens de communication ont permis cette communion liturgique, en même temps qu’ils ont creusé le désir d’une communion plus spirituelle que jamais dès maintenant, et concrète dès que cela sera possible, avec nos frères et sœurs, et avec le Christ dans ses sacrements. En attendant, reste la communion spirituelle à son corps mystique.
L’Église était dispersée, mais combien plus grande en a été notre responsabilité d’être, là où nous sommes, ce petit reste vivant, ce petit germe d’où la vie reçue jaillra de nouveau. D’être, en communion, ce grain jeté dans la terre et qui donnera du fruit là où il est, déjà envoyé en mission avant même l’envoi.
Alors, en communion, dans une soif plus intense de nous retrouver qui nous initie peut-être déjà à l’espérance de nos retrouvailles éternelles en Dieu, demeurons dans cette joie déchirante de la vie jaillie du tombeau ouvert, de chacun de nos tombeaux, avec le Christ.