Les Alternatives Catholiques

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MRJC : une polémique pour rien ?

Je ne peux évoquer le MRJC sans me permettre de raconter d’abord ma première véritable rencontre avec ce mouvement en 2015.

C’était à Paris, quelques mois avant la COP21, lors d’une réunion de la Coalition qui organisait la Marche citoyenne pour le Climat. Il y avait là un fourmillement de groupes engagés en écologie, et cela ressemblait autant à une Fête de l’Huma pour écologistes qu’à une réunion de préparation de la manif du siècle[1]. L’occasion pour le Collectif Stop-TAFTA, dont je faisais partie, de préparer les événements de la COP et de réunir ses responsables locaux, venus de toute la France.

À l’heure du déjeuner, après avoir sondé mes voisins de table sur leurs engagements personnels, je découvrais que j’étais assise entre un membre de la JOC et un membre du MRJC. Ce constat d’une fraternité chrétienne dépassant nos engagements respectifs avait contribué à nous rapprocher. Peut-être du fait de ce rapprochement, peut-être parce que le gars du MRJC – Hugues – avait amené sa guitare, et sans doute aussi parce qu’une camarade communiste nous avait fait part de sa passion pour les chants politiques, nous nous étions retrouvés quelques instants plus tard à chanter en chœur l’hymne du MRJC, l’Estaque, au milieu du campus universitaire où se réunissait la Coalition Climat. Depuis, ce chant est devenu pour moi une sorte d’hymne anti-TAFTA, attaché au souvenir de cette présence chrétienne à la périphérie de l’Église, à cette rencontre de croyants soucieux de traduire en actes leurs convictions, à la suite de l’encyclique Laudato Si.

Vient ensuite l' »affaire MRJC » : par un communiqué de presse publié le 19 janvier dernier, le MRJC se désolidarisait de la Marche pour la Vie. La polémique qui s’en est suivie, relayée par les médias catholiques, a pris une ampleur insoupçonnée, entretenue par des contre-communiqués de presse et des appels à boycotter le denier de l’Église, finançant le MRJC. Cette polémique ne peut nous laisser avec la seule conclusion que « décidément, il existe encore des cathos de gauche ». Elle doit nous faire réfléchir sur la notion de marge au sein de l’Église et sur notre rapport à l’institution. Il ne s’agira pas ici de prendre la défense du MRJC, en contribuant à alimenter la guerre de positions, mais de se poser les bonnes questions pour mieux vivre en Église et mieux vivre sa propre foi, ce qui paraît plutôt indiqué en ce temps de Carême.

l’Église vit aujourd’hui parfaitement au diapason d’une société où l’actualité est rythmée par la polémique

  • Le simple fait de parler de « MRJC-gate » est significatif : l’Église vit aujourd’hui parfaitement au diapason d’une société où l’actualité est rythmée par la polémique ; signe d’un monde où les différends se vivent sur le mode du clash, où les positions et l’incompréhension se durcissent, et où l’on attend simplement de la polémique du jour qu’elle permette de faire le tri entre les brebis et les boucs, emmenés par des polémistes consacrés par les médias, dont la solidarisation et la désolidarisation pourront s’exprimer sous forme de posts sur les réseaux sociaux. Que des chrétiens participent à entretenir cet état maladif du débat public est regrettable et significatif d’une société fracturée et incapable de dialogue.
  • Les débats par communiqués de presse interposés sont le signe que faire entendre ses positions est devenu un enjeu existentiel au sein de l’Église dans le climat post-Manif pour Tous, et ce selon deux logiques : d’un côté on n’admet plus que les questions éthiques ne puissent pas être le porte-drapeau de la communauté catholique, de l’autre on ressent la nécessité d’affirmer sa différence pour faire contrepoids, le tout sous le regard des médias. Dans une Église qui se vit comme une citadelle assiégée, de l’intérieur ou de l’extérieur, la moindre brèche est perçue comme un fossé béant qu’il faut ignorer ou considérer comme une occasion de schisme.
  • Cela nous amène à deux constats quant aux conditions de dialogue dans l’Église. Au sein même de l’Église, les espaces de dialogue sont rares voire inexistants. Comme l’a expliqué  le sociologue Yann Raison du Cleuziou, c’est même une véritable culture du débat qui s’est perdue. Elle a aussi à voir avec les évolutions sociologiques et géographiques de l’Église, au sein de laquelle les catholiques se réunissent toujours plus en chapelles homogènes. On peut y ajouter un autre constat : les espaces d’engagement des catholiques au sein de la société sur des causes partagées où ils se rencontrent dans leur diversité, aux côtés de non-croyants, se sont également raréfiés. Or, le dialogue ne peut s’établir qu’à partir du commun.
  • Enfin, les chrétiens admettent-ils l’existence de marges au sein même de l’Église ? Dit autrement : peut-on accepter que des personnes se considèrent comme catholiques sans être en accord avec l’ensemble de son enseignement ? S’il convient de rappeler cet enseignement, je ne suis pas certaine qu’il faille se livrer continuellement à une chasse aux sorcières digne des pires caricatures de l’Inquisition, au risque de mettre à mal des espaces de transition et de dialogue entre l’Église et le reste de la société. Si l’Église est pleinement ouverte sur le monde, alors il faut admettre qu’il existe des points de contacts et de mélange où l’enseignement de l’Église est remis en cause. Si l’Église a eu raison de dénoncer les dérives inhérentes au communisme, elle a aussi dû revenir par le passé sur sa condamnation trop ferme des mouvements de théologie de la libération, dont une frange avait contribué à élaborer, en marge de l’Église, une théologie nouvelle alimentée par la foi profonde des peuples d’Amérique du Sud. Le Pape François écrivait dans l’encyclique Evangelii Gaudium : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie sur les chemins, plutôt qu’une Église malade de son enfermement et qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités. »

[1] Prévue le 29 novembre 2015, elle sera annulée suite aux attentats de Paris. Symboliquement, des milliers de paires de chaussures seront déposées Place de la République à l’invitation de la Coalition Climat, parmi lesquelles une paire de chaussures envoyée par le Pape François.

Marie-Hélène
Marie-Hélène, membre des Alternatives Catholiques.

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