Le café culturel catholique « le Simone » vient d’ouvrir à Lyon, 45, rue Vaubecour.
On dit que notre génération politique est celle des écrans, des réseaux sociaux et du déracinement. Il paraît que nous sommes d’un côté « connectés », mais d’un autre côté « déconnectés » des vraies réalités. Pourtant, nous sommes bien la génération qui commence à faire de la politique en occupant des lieux, en prenant racine dans des territoires déterminés : au sein de la mouvance catholique, « les Veilleurs » ; ailleurs et plus important, le mouvement des places, les ZAD, Nuit Debout. Si la crise que nous vivons est essentiellement une crise de la présence[1] – crise dont la prolifération des écrans n’est qu’un symptôme – notre génération s’efforce de trouver les moyens pour se retrouver, communier non pas dans une idéologie commune, mais dans une présence commune[2]. Pour rompre avec la séparation instituée par la représentation, toute bonne politique commence par la présence commune. Nous qui vénérons la « présence réelle » au point d’en faire la source de nos liens, nous ne pouvons pas rester indifférents.
Nos aïeux ont fait de la politique en commençant par construire des idéologies plus ou moins subtiles, nous commençons par occuper des lieux. Non pas que la pensée soit absente de ces lieux, on y discute pied à pied, parfois on y bavasse, parfois des actions s’y préparent. Les anciens aussi avaient des lieux (du club à l’usine en passant par la place de grève), mais ces lieux étaient la matérialisation de leurs idéaux. Nous n’avons que des idéaux vagues et un désir précis de commun, voire de communion, mais cela suffit à ouvrir un lieu. Nous ne commençons pas à faire de la politique en écrivant des programmes, mais en nourrissant nos amitiés.
Le lieu n’a pas à se demander s’il est en prise à la réalité. Le lieu est une partie de la réalité. On demande souvent aux jeunes, et en particulier aux jeunes catholiques, de « s’engager », ou de « participer à la société ». Il faudrait que les catholiques entrent dans l’espace public… Engagez-vous qu’ils disent ! Mais ce serait négliger un aspect fondamental de l’Eglise, noté par William Cavanaugh : l’église est elle-même un espace public. Elle crée elle-même, sans demander à l’Etat, les conditions d’une parole commune. L’Eglise est elle-même une puissance universelle capable de faire émerger, selon des conditions à chaque fois particulières et adaptées, des espaces publics. Chacun de ces espaces est une « paroisse », c’est-à-dire – paroikia – ce qui, fondé sur la Communion, aménage les conditions d’un séjour. Le Simone est un de ces espaces publics. Il a ses règles, il a déjà ses traditions, et ses processus d’innovation, comme tout espace public.
Le lieu admet un certain jeu : on peut y occuper plusieurs positions différentes. Pour nos aïeux on était communiste ou libéral, catho de gauche ou catho de droite. Le Simone est un lieu qui est « catholique », il n’est donc pas « neutre », mais cela ne l’empêche pas d’être « ouvert »[3]. Qu’il soit catholique n’empêche en rien que des musulmans ou des athées viennent y parler. Il suffit d’avoir quelque chose d’intéressant à dire. Qu’il soit catholique ne veut pas dire qu’on doit professer la foi catholique : on peut être un familier du lieu, aller jusqu’à dire comme Simone Weil que « rien de ce qui est catholique ne m’est étranger »[4] tout en refusant le baptême. Ce qui compte c’est d’être touché par le lieu comme n’importe qui peut être touché par un beau vitrail. Le lieu est ainsi défini non par des positions strictes, mais par une « atmosphère »[5].
Le lieu ne se pense pas comme un espace de pouvoir. Sa norme n’est pas sa capacité à « gouverner », mais à durer. Certes, il y a dans le lieu du pouvoir, des hiérarchies, des surveillances, des frontières, mais le lieu ne se pense pas comme un point à partir duquel gouverner les autres. Le lieu est en rupture avec une pensée de la politique comme « gouvernement », qui est elle-même une manière sécularisée de penser la politique (le « gouvernement » et ses « ministres » dont des catégories théologiques sécularisées).
Le lieu pose la question du monde. Il est un microcosme qui s’interroge sur le macrocosme. En s’interrogeant sur lui-même, sur sa manière de configurer son monde, il interroge sur la manière dont on configure le monde dans lequel il vit. Parce qu’il est un espace de consommation, le Simone s’interroge sur la manière dont on produit les biens aujourd’hui : d’où vient le café qu’on y boit, qui l’a produit, à quel prix ? C’est en cela qu’il n’est pas un îlot, mais un point du monde traversé par les champs de force. Le Simone se pose la question du monde, c’est ce que signifie le portrait du Pape qu’on y trouve (auréolé du mot « Libération ») – le Pape, figure mondiale.
A travers la question du monde se pose celui du rapport aux autres lieux. Dans quels autres lieux pourrait-on aussi se retrouver ? A quels autres lieux correspond le Simone ? Cette question n’a pas encore de réponse politique, tout reste à faire.
[1] Voir un livre récent : « Le mensonge de toute l’apocalyptique occidentale consiste à projeter sur le monde le deuil que nous ne pouvons en faire. Ce n’est pas le monde qui est perdu, c’est nous qui avons perdu le monde et le perdons incessamment ; ce n’est pas lui qui va bientôt finir, c’est nous qui sommes finis, amputés, retranchés, nous qui refusons hallucinatoirement le contact vital avec le réel. La crise n’est pas économique, écologique ou politique, la crise est avant tout celle de la présence ».
[2] Y compris dans des formes de présence commune qui confinent à l’absence commune, par exemple certaine formes festives autodestructrices.
[3] Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur la « neutralité », qui est bien souvent un moyen pour l’Etat d’homogénéiser le social, par exemple dans le cas de l’interdiction des signes religieux dans l’espace public.
[4] Lettre à Bernanos, 1938 : « Je ne suis pas catholique, bien que – ce que je vais dire doit sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part d’un non-catholique, mais je ne puis m’exprimer autrement – bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m’ait jamais paru étranger ».
[5] Concept propre à la pensée de Simone Weil.
Le Simone est un lieu et un lieu naissant. Un lieu, dirait Jean-Noël Dumont est soit un hall de gare, soit une maison. Et seule une maison est digne d’être un lieu ajouterait celui qui a compris son propos. La maison, c’est la présence habitée, habitante aussi. Le Simone est né et va devenir un lieu de vie, d’accueil et de présence. Le Simone va devenir un beau lieu car habité de bonnes et belles personnes. En lisant ce texte qui nous redit l’importance d’un lieu et d’une présence, je n’ai rien à dire sur le raisonnement s’agissant des vains cloisonnements et gémissements inutiles de ce temps qu’il démonte avec justesse. Toutefois, notre présence de chrétiens n’est pas exclusivement et ultimement présence au monde. Nous sommes dans le monde et si rien ne doit nous en être étranger, nous ne sommes pas du monde. Or, le raisonnement, s’il évoque notre présence au monde, ne le relie pas ici à la Présence. J’en déduis que le bouchon n’est pas ici poussé assez loin. Vous y touchez en unissant présence et communion mais il n’y a toujours qu’horizontalité. Nous restons dans une perspective soixante-huitarde qui a montré toutes ses limites en construisant le monde de ce temps. La verticalité doit être visible au prix du scandale (je n’évoque pas ici le terme galvaudé à la mode mais la Croix « folie pour les hommes, scandale pour les païens »). Que l’on me comprenne bien, je ne critique pas, j’entends bien au contraire dire ici que ce texte est une base qui montre l’importance de la présence et de l’incarnation réelle de cette présence. Le premier point tient bien dans la présence de l’homme à l’homme en ce qui concerne l’exister et l’être dans le temps présent. C’est ce dont il est ici question et il s’agit là du premier point fondamentalement nécessaire. Nuit debout n’est pas que chrétien, mais les chrétiens qui y participent doivent comprendre et déjà dire où sont leurs valeurs. Pas leurs valeurs à défendre ni même peut-être leurs valeurs à promouvoir mais leurs valeurs à porter, comme une croix.
Je veux en profiter ici pour saluer l’œuvre, parlons déjà d’œuvre même si certains jugeront mon propos prématuré. Le choix que je trouve de plus en plus judicieux de la figure de Simone Weil comme égérie d’ouverture et d’accueil et dans le même temps l’assise sur une catholicité, une chrétienté assumée et débarrassée de scories partisanes, ouvrent des perspectives de présence décomplexée au monde de ce temps. Un catholicisme libre, voire libertaire, doit se nourrir au moins du catholicisme social et j’entends ici juste prolonger la réflexion par une brève invitation à se nourrir d’un exemple, très lyonnais, qui permet d’élever un peu le caractère trop purement horizontal de la réflexion qui nous est encore livrée.
Nous fêterons le 04 octobre prochain le trentenaire de la béatification par Jean-Paul II du Père Antoine Chevrier,fondateur du Prado, en 1986 lors de son troisième voyage en France, en présence d’une foule de 350 000 personnes. Né le 16 avril 1826 à Lyon, nommé en 1850 vicaire du quartier de très pauvres ouvriers de la Guillotière, il a l’intuition de devoir servir les plus démunis dès 1856. Il loue puis rachète une ancienne salle de bal mal famée, « le Prado » en 1860. Il aménage la salle de bal en chapelle et prend en charge pendant six mois « de jeunes adolescents de chaque sexe errants et abandonnés que leur âge et leur ignorance excluent de la participation aux leçons de l’école et à celles de la paroisse » (Rapport de l’Académie de Lyon de 1861). Et à la différence d’autres établissements du même type, le Père Chevrier se refusait à ce que l’on fît travailler les enfants qu’il accueillait. En 1866 il fonde au Prado même une « école cléricale » pour « …faire une pépinière de prêtres qui soient élevés avec mes enfants, pour qu’ils les comprennent bien ». L’Association des Prêtres du Prado ne comptera encore que quatre prêtres et quelques sœurs à sa mort le 02 octobre 1879. Ses obsèques furent suivies par cinquante mille personnes. Le Père Chevrier, mort à 53 ans, est enterré dans cette chapelle du 7e arrondissement, dans la rue qui porte maintenant son nom et héberge encore le siège social de l’Association des Prêtres du Prado aujourd’hui présente dans une cinquantaine de pays. Mais la famille du Prado comprend, outre cet institut séculier, un groupe de sœurs membres d’une Société de vie apostolique, un groupe de laïcs consacrés (hommes et femmes), et divers groupes réunissant aussi des diacres permanents ainsi que de nombreux laïcs.
Le Père Antoine Chevrier a présenté son idéal évangélique dans son livre intitulé « Le véritable disciple de Notre Seigneur Jésus-Christ » ainsi que par des inscriptions sur les murs d’une maisonnette, ce que l’on appelle le « Tableau de Saint-Fons » :
« La Crèche, le Calvaire, le Tabernacle, disait-il, ne sont-ils pas les centres où doivent se rendre tous les hommes pour recevoir la vie, la paix, et repartir de là pour aller à Dieu ? »
« En 1866, après la fête de l’Assomption, raconte le père Jaricot, le père Chevrier prit avec lui douze de ses enfants – j’étais du nombre – pour aller faire une retraite [à Saint-Fons] dans cette solitude de prédilection. Elle n’était pas si bien organisée qu’elle l’est aujourd’hui ; elle est encore bien pauvre, mais alors c’était bien autre chose : on y voyait encore les outils des laboureurs. La petite écurie fut choisie comme oratoire et transformée. Le père Chevrier mit dans la crèche un petit Jésus semblable à celui du Prado. Il commença les inscriptions, qu’il termina plus tard et que l’on doit y voir encore. Là était notre lieu de réunion et de prière » (Jean-Claude Jaricot, Procès de béatification, t. 3, art. 139).
L’événement rapporté ici par l’un des premiers compagnons du père Chevrier, se passait au cours de l’été 1866. Dix ans plus tôt, ou presque, en 1856, Antoine Chevrier, qui était alors un jeune prêtre, avait été éclairé en priant devant la crèche de l’Enfant Jésus dans l’église de la paroisse Saint-André de la Guillotière. A l’époque, la Guillotière était le faubourg industriel de Lyon, une banlieue réputée rouge que, par précaution, le gouvernement impérial de Napoléon III avait annexée en 1852 à la ville de Lyon. En priant devant la crèche, Antoine Chevrier avait compris ce jour-là que pour rejoindre les pauvres au milieu desquels il vivait et leur faire découvrir le vrai visage de Dieu, il lui fallait s’engager dans le chemin que Dieu lui-même avait pris pour rejoindre les hommes et se faire connaître d’eux.
Pour répondre à cet appel dont il pensait qu’il lui venait de Dieu, il avait alors quitté la paroisse de Saint-André qui lui était pourtant très chère et, tout en demeurant sur cette rive gauche du Rhône, alors très déshéritée, il était allé s’établir dans ce lieu qu’on commençait d’appeler la Cité de l’Enfant Jésus. Un laïc, généreux et un peu utopiste, y édifiait une cité de secours pour reloger les nombreuses victimes des inondations de mai 1856 qui avaient ravagé tous ces quartiers.
L’expérience avait duré trois ans, pendant lesquels Antoine Chevrier s’était consacré à ceux qui lui paraissaient être, à ce moment-là, les plus pauvres de tous, les enfants et les adolescents sans véritable famille qui traînaient dans la rue et y vivaient d’expédients : avec la collaboration de quelques jeunes femmes et de quelques jeunes hommes, on les aidait à se réinsérer dans la société, on leur faisait un peu d’école (l’école publique ouverte à tous n’existait pas encore dans notre pays) et le père Chevrier, lui, les préparait à une première communion en leur faisant le catéchisme.
Le père Chevrier était persuadé que la grâce reçue à Noël 1856, ne lui avait pas seulement été faite pour sa conversion personnelle. Le capitalisme industriel était alors en plein essor. Le fossé s’accentuait de plus en plus entre une classe bourgeoise riche, qui s’accommodait fort bien du régime impérial, et une classe ouvrière de plus en plus pauvre, tenue en marge de la société. Antoine Chevrier était de ceux qui pensaient qu’il fallait que l’Eglise entende le cri des pauvres et, pour y répondre, le chemin à prendre lui paraissait devoir être celui de Jésus, le chemin que Dieu lui-même avait pris. C’est la raison pour laquelle, une fois à l’œuvre au Prado, il comprit assez rapidement que s’il voulait avoir de véritables compagnons entrant dans ses vues, il lui fallait nécessairement envisager de les former lui-même et sur place dans cette perspective. Dans les premiers mois de l’année 1866, il se décida donc à fonder au Prado ce que l’on appelait une « école cléricale », c’est-à-dire une école pour se préparer à devenir prêtre. Au mois de mai de cette année-là, il acheta le terrain et la maison qui se trouvait en face de la chapelle du Prado, de l’autre côté de la rue, pour y installer les sœurs, qui y sont encore, et les petites filles de l’œuvre de la première communion. Dans l’espace libéré au Prado même, il lui serait ainsi possible d’ouvrir en octobre suivant son « école cléricale ».
C’est dans ce contexte qu’auparavant il organisa à Saint-Fons une retraite particulière pour ceux qui seraient ses premiers séminaristes et c’est pour eux qu’il commença alors à écrire ce que nous appelons le tableau de Saint-Fons.
Le geste du père Chevrier plaçant dans la crèche de l’écurie un petit Jésus pareil à celui du Prado est aussi un geste symbolique à la portée profonde. Il faut comprendre par là que ce qui va se passer à Saint-Fons en août 1866 doit être mis en rapport avec ce qui s’était passé à Saint-André de la Guillotière en décembre 1856. « C’est à Saint-André qu’est né le Prado, disait le père Chevrier. C’est en méditant la nuit de Noël sur la pauvreté de Notre-Seigneur et son abaissement parmi les hommes que j’ai résolu de tout quitter et de vivre le plus pauvrement possible. C’est le mystère de l’Incarnation qui m’a converti » (E.S., p. 11). Comme auparavant l’œuvre de la première communion, de la même manière l’école cléricale, le séminaire du Prado, le chemin de chaque séminariste ne peuvent avoir pour fondement que la grâce de l’Incarnation. C’est comme si le père Chevrier s’était dit : Seule la contemplation du mystère du Christ dans son Incarnation peut mettre en chemin mes séminaristes, comme elle m’a moi-même mis en chemin. Noël est en effet un commencement : c’est l’ouverture d’un chemin. Et c’est ce chemin que le père Chevrier veut faire contempler dans le tableau de Saint-Fons : le chemin qui va de la crèche à la croix, de la naissance de Jésus à sa vie donnée jusqu’au bout, que nous rappelle et qu’actualise la célébration de l’Eucharistie. C’est ce chemin, le chemin de Jésus, qui avait commencé pour le père Chevrier à Noël 1856 et qui recommence, dix ans plus tard, en août 1866, pour ses séminaristes.
Encore un petit mot sur ce tableau de Saint-Fons, mais cette fois à partir du Véritable Disciple. Quand on ouvre ce livre que le père Chevrier, fondateur du Prado, a écrit pour la formation de ses futurs prêtres et plus largement pour tous ceux qui désirent suivre le chemin de l’Evangile, on constate qu’il s’y réfère plusieurs fois au tableau de Saint-Fons.
Dans son étude des Titres de Jésus-Christ, en parlant du Christ comme d’un « centre vers lequel tout doit converger », il écrit : « La crèche, le calvaire, le tabernacle ne sont-ils pas des centres où doivent se rendre tous les hommes pour recevoir la vie, la paix, et repartir de là pour aller à Dieu ? ». La crèche, la croix, l’Eucharistie sont des lieux où Dieu nous invite à venir, parce que c’est là qu’il se donne à voir et à rencontrer et si nous venons en ces lieux, si nous prenons le temps de nous y arrêter un peu, nous en repartirons autrement que nous étions venus.
Dans son chapitre sur le renoncement à son esprit, le père Chevrier écrit cette fois : « Les saints tiraient toutes leurs inspirations et leurs pensées de l’amour infini de Dieu – Dieu est amour – dans la crèche, le calvaire et le tabernacle, qui sont les trois grands flambeaux à la lueur desquels un véritable disciple de Jésus-Christ doit se conduire ». On peut rapprocher cette réflexion du père Chevrier de la parole de Jésus dans l’Evangile selon saint Jean : « Je suis la lumière du monde : celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jean 8,12). Cette lumière qu’est le Christ, elle brille particulièrement pour nous dans ces trois lieux, qui sont aussi trois moments successifs dans la destinée de Jésus : la crèche, lieu et temps de sa naissance ; la croix, lieu et temps de ses souffrances et de sa mort ; l’Eucharistie, lieu et temps de sa présence par delà sa mort. Et l’on peut déjà remarquer ici combien l’affirmation du père Chevrier est paradoxale : à Noël, Jésus, dit l’Evangile, est né de nuit ; quand Jésus meurt sur le Golgotha, des ténèbres, dit-on à nouveau, s’étaient faites sur la terre et, dans l’Eucharistie, le Dieu de la crèche et de la croix est plus caché encore. Et pourtant, affirme le père Chevrier, si vous fixez là votre regard, si vous prenez le temps de méditer sur ces mystères pour qu’ils livrent tout leur sens, vous découvrirez que c’est ici que l’amour de Dieu nous est le plus intensément manifesté. Nous chercherons à notre tour pendant cette retraite à scruter ces trois mystères que sont Noël, le Vendredi-Saint et l’Eucharistie, afin qu’ils deviennent lumières pour nous aujourd’hui.
Le tableau de saint-Fons est un lieu de pèlerinage diocésain. Le Cardinal Philippe Barbarin nous le présente…
De temps en temps, le P. Chevrier quitte La Guillotière pour une récollection à Saint-Fons, au sud de Lyon. Le modeste lieu où il se retirait a été fort bien aménagé et remis en valeur par la communauté du Prado, depuis quelques années. Lors de ma première visite pastorale dans ce secteur, j’ai eu la joie d’être conduit devant le célèbre » Tableau de Saint-Fons » et de pouvoir y rester un long moment. Plus qu’ un » tableau » – car il n’y a ni dessin, ni peinture-, il s’agit d’un schéma que le P. Chevrier avait lui-même écrit sur le mur. C’est un merveilleux résumé de la grâce spirituelle qu’il a reçue, et un condensé très clair de la foi chrétienne dans ses trois mystères essentiels : l’Incarnation évoquée par la crèche, la Rédemption par la croix et la Résurrection par le tabernacle. Les commentaires du P. Chevrier sur ce triptyque sont simples et très stimulants.
En haut, il a recopié deux citations de l’Evangile, capitales pour lui : » Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jean 1, 14) et » C’est un exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jean 13, 15). Le P. Chevrier avait pensé le tableau pour les prêtres, puis l’avait adapté pour les sœurs, et nous pouvons continuer de le travailler pour qu’il soit utile à tous les baptisés, et éclaire chacun de leurs états de vie. Devant la crèche, il écrit qu’en choisissant une vie pauvre, » on glorifie Dieu « , » on est utile au prochain » ; devant la croix, que plus on meurt à soi-même, » plus on a la vie, plus on donne la vie « . Même si depuis saint Pierre, personne n’a envie d’entendre parler du Calvaire (Matthieu 16), nous savons que la Croix est le grand rendez-vous du salut, la preuve que l’amour n’a pas de limite.
Le tabernacle, c’est la certitude que cet amour, si souvent refusé ou bafoué, dans le monde et au fond de nous-mêmes, ne nous abandonnera jamais et sera toujours victorieux : » Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Matthieu 28, 20). C’est dans cette troisième colonne qu’il écrit la phrase la plus célèbre du tableau : » le prêtre est un homme mangé » et juste au-dessus, » il faut devenir du bon pain « .
Quinze siècles plus tôt, saint Augustin avait comparé la longue histoire du chrétien à celle des épis de blé qui deviennent » notre pain de chaque jour « . Il faut accepter de grandir dans la bonne terre, être fauché, décortiqué, broyé pour devenir une farine toute fine et douce, avant de recevoir l’eau du baptême, d’être cuit au feu de l’Esprit par la confirmation et d’être mangé. La vie des chrétiens doit être une page d’Evangile vivante, un bon pain du Christ offert aux hommes à chaque époque, pour leur donner force et joie.
Que l’on me pardonne ce long résumé mais que l’on veuille bien l’appliquer à notre temps et à notre situation. Nuit Debout naît dans cette nuit, dans ces nuits et ces moments cachés, s’y incarne. Le christianisme enfoui comme un levain dans la pâte est autant des maristes de 1816 que du Prado de 1856-1866 et très véritablement il sut renaître au XXe siècle dans cette région de France. C’est un devoir du chrétien de s’incorporer à la pâte humaine, c’est un devoir d’être levain. Si proche du Prado, Notre dame des Sans Abris de Gabriel Rosset. Tant d’exemples nous sont donnés à Lyon, et je n’oublie pas l’Abbé Pierre, pour que cette horizontalité trouve une verticalité qui ne soit pas dogmatique et de façade mais manifeste que l’humanisme est autre chose que CE QUE L’ON NOUS VEND.
Le Simone n’est pas seulement un lieu,
il est avant tout un temps !
illustration aussi de cet article de Laudato si:
« le temps est supérieur à l’espace »
178. Le drame de l’ »immédiateté » politique, soutenue aussi par des populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire de la croissance à court terme. Répondant à des intérêts électoraux, les gouvernements ne prennent pas facilement le risque de mécontenter la population avec des mesures qui peuvent affecter le niveau de consommation ou mettre en péril des investissements étrangers. La myopie de la logique du pouvoir ralentit l’intégration de l’agenda environnemental aux vues larges, dans l’agenda public des gouvernements. On oublie ainsi que « le temps est supérieur à l’espace»,[130] que nous sommes toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus d’élaborer des processus que de nous emparer des espaces de pouvoir. La grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce devoir dans un projet de Nation.