Nous attendions un roi glorieux, et nous avons un bébé.
Qu’à cela ne tienne, nous espérons que ce bébé deviendra un roi glorieux. Nous aurons un Crucifié.
Noël est la fête de toutes les désillusions politiques. Dieu sait qu’elles sont nombreuses. Noël fête la désillusion politique comme telle : le pouvoir ne nous a pas sauvés et il ne nous sauvera pas. Les politiciens promettent au fond toujours la même chose : « si vous me donnez le pouvoir, je vous sauverai ». Or à Noël le sauveur prend la figure du nourrisson ; on lui offre de l’or, mais déjà lui est offerte la myrrhe qui servira à embaumer son corps de crucifié. L’opposition aux puissances est pour le moins radicale.
Pourtant nous pensions que seul un roi glorieux pourrait nous sauver, nous libérer des oppresseurs. Les pouvoirs qui asservissent et chosifient l’homme sont immenses ! Il faudrait une puissance encore plus grande pour les renverser ! Eh non, la leçon politique de Noël est catégorique : ce n’est pas un puissant qui nous sauvera des puissants. « Il renverse les puissants de leur trône », mais pas par sa puissance. C’est que si nous cherchons un royaume qui n’est pas de ce monde, c’est-à-dire un royaume où le principe de l’ordre n’est pas le pouvoir mais la charité, alors on ne peut l’atteindre par les moyens du monde, qui sont l’argent, la domination et la représentation.
Le désir même de puissance est encore aliéné aux puissants. C’est ce désir de puissance que Noël nous invite à guérir, afin que la révolution chrétienne ne consiste pas en une banale prise de pouvoir avec l’étendard du Christ, mais en une conversion de chacun à partir de laquelle l’ordre social pourra être renouvelé. Cela ne veut pas dire que Noël devrait nous inciter à la dépolitisation : bien au contraire, nous sommes invités à prendre conscience de ce qu’est la politique, de ce qu’est la promesse mensongère de salut qui s’y glisse. Et c’est à une lutte bien concrète que nous sommes invités : tisser des liens autonomes, régis par la seule charité, débarrassés des puissances. Créer des communautés vivantes où l’on essaie de tendre à la vie fraternelle… Il y a encore du boulot !
Les chrétiens peuvent donc bien s’investir dans des partis politiques, c’est une bonne chose, mais cela n’aura pas d’autre fonction que de retenir le désastre. Les partis politiques et la représentation qu’ils impliquent sont une manière secondaire de faire de la politique. La leçon politique de Noël est une leçon antipolitique : le salut n’est pas politique. C’est ce que le politique, représenté par Hérode, voudrait cacher. Le scandale au fond le plus profond pour Hérode, c’est qu’un nourrisson conteste sa puissance. Le politique voudrait que le « religieux » soit comme un autre politique, avec ses chefs et ses relations de pouvoir, ses réseaux, ses complots. Mais l’Eglise n’a pas d’autre modèle qu’elle-même. Elle ne prétend pas changer le monde en fondant une politique alternative, mais une alternative à la politique entendue comme jeu des puissances.
C’est ainsi que les catholiques font de la politique : comme s’ils n’en faisaient pas.