Ces derniers mois, soudain, lโhorloge politique sโaffole. Nous sommes en 2014, et tous les yeux se rivent sur 2017. ร lโheure oรน la majoritรฉ choisit de changer de cap pour sauver son quinquennat, les tรฉnors de lโUMP prennent position, dรฉvoilent leurs stratรฉgies, affirment leur ยซย visionย ยป, leur ยซย personnalitรฉย ยป, et dรฉcident avant lโheure de cesser de ronger leur frein. Au terme de la trรชve estivale et dโune pรฉriode de silence prolongรฉe โ si ce nโest calculรฉe – de la part de la droite, lโeffet de surprise aurait pu รชtre brillant, la parousie[1] politique salvatrice. Il nโen fut rien. En alignant face au gouvernement les contre-propositions de rรฉformes, les candidats anticipรฉs de la droite ont prรฉsentรฉ des mesures bien plus que des visions. Ils ont parlรฉ de changer le prรฉsent sans dessiner vraiment lโavenir.
Lร est sans doute la manifestation la plus patente de la crise que traverse aujourdโhui notre monde politiqueย : lโabandon de la notion de projet au profit de perpรฉtuels dรฉbats sur des points de mรฉthode. Notre crise politique est, fondamentalement, une crise de sens. Dans une telle perspective, lโarticulation de lโhumain et de lโรฉconomique nโest plus ร penser mais ร amรฉnager, la vie commune nโest plus ร construire mais ร organiser et le gouvernement nโa plus pour seule mission que la rรฉforme, la mise en mouvement, la rรฉflexion stratรฉgique. La vรฉritable finalitรฉ du politique en vient ร se diluer dans un discours devenu illisible, comme lโatteste la dรฉclaration faite par Manuel Valls au micro dโRTL le 24 juilletย : ยซย Il y a un cap et ce cap cโest le mouvement, cโest la rรฉforme pour lโintรฉrรชt gรฉnรฉralย ยป.
Face ร la vacuitรฉ des discours politiques, les catholiques devraient sโindigner comme jamais, bien davantage que face ร des idรฉes contraires aux leurs, qui ont au moins le mรฉrite de donner prise au combat. Lโรจre du technico-politique ne laisse aucune place ร lโhumain et ร sa dignitรฉ. A-t-on mesurรฉ la portรฉe du discours du Pape au Parlement Europรฉen ร Strasbourg, le 25 novembre dernierย ? ร travers sa critique des institutions europรฉennes, le Saint-Pรจre a dรฉlivrรฉ une leรงon magistrale de pensรฉe politique catholique, dans la droite ligne de la Doctrine Socialeย : ยซย On constate avec regret une prรฉvalence des questions techniques et รฉconomiques au centre du dรฉbat politique, au dรฉtriment dโune authentique orientation anthropologique.ย ยป
La politique ne peut se mettre au seul diapason des prรฉvisions des รฉconomistes. Plutรดt que de se demander frontalement ยซย quelle croissance voulons-nousย ?ย ยป, on se demandeย pourtant perpรฉtuellement : ยซย que doit-on faire en attendant le retour du 1% de croissanceย ?ย ยป. ร aucun moment le discours ne porte sur la nature du systรจme รฉconomique, en lien avec le mode de vie dโune sociรฉtรฉ, mais toujours sur des degrรฉs. La position parait dโautant plus confortable quโelle permet de se garder de tout discours susceptible de verser dans lโidรฉologie. Ne pas avancer de lecture forte des phรฉnomรจnes et de projet pour lโavenir permet de rester dans une posture de technicien, neutre, pragmatique, efficace. Pourtant, le problรจme sโaggrave lorsque ce pragmatisme รฉconomique devient une figure imposรฉe interdisant toute rรฉflexion sur nos modรจles de sociรฉtรฉ sous prรฉtexte de crise budgรฉtaire.
La crise interne au Parti Socialiste peut รชtre comprise ร la lumiรจre du dรฉfaut de sens qui mine aujourdโhui le dรฉbat public. Le texte publiรฉ par Martine Aubry, ร la tรชte de son mouvement ยซย Vive la gaucheย ยป le 26 octobre a au moins le mรฉrite de poser le constatย de crise du projet politique. ยซย Une raison profonde du malaise, mรชme si nous pensons que les Franรงais ont bien compris quโil fallait rรฉduire les dรฉficits pour prรฉserver lโavenir, est quโils ne comprennent pas quelle sociรฉtรฉ nous voulons construire, sur quelles valeurs nous nous appuyons. Bref, nous donnons lโimpression de ne plus porter un projet politique. Le cap est devenu une succession de courbes et de chiffres, 50 milliards, 41 milliards, 3%โฆ Les Franรงais ne voient plus ร quoi servent leurs efforts. On ne transforme jamais le rรฉel en renonรงant ร lโidรฉal.ย La politique nโest pas un voyage sans destination. ยป
ร qui la faute,ย doncย ? Aux questions รฉconomiques, qui, sous le rรจgne victorieux du libรฉralisme, semblent assombrir toujours plus, depuis 2008, lโhorizon des possiblesย ? Sans doute. Mais la difficile formulation dโun projet commun semble sโancrer tout autant dans une remise en question des idรฉaux politiques, de la capacitรฉ dโintervention de la puissance publique et dans lโincapacitรฉ de la sociรฉtรฉ franรงaise ร se penser comme communautรฉ de destin. Dรจs lors, le roman national parait bien difficile ร รฉcrire.
Face ร la montรฉe en puissance du technico-politique, le rรดle des catholiques est aujourdโhui, en premier lieu, de marquer leur refus de la rรฉduction du politique ร des logiques gestionnaires, en posant les questions de fond qui sous-tendent le dรฉbat public. Car poser la question des fondements et des finalitรฉs revient ร montrer aux robots quโil leur manque sans doute lโessentielย : une รขme.
[1] Retour glorieux du Christ sur Terre, ร la fin des temps bibliques.