Dans cette nouvelle chronique, je vous propose de découvrir Gilbert Keith Chesterton, un anglais qui a beaucoup, beaucoup (mais vraiment beaucoup) écrit au tout début du vingtième siècle, et qui était à la fois « alter » et « catho ». Ses critiques et commentateurs le définissent comme quelqu’un d’excentrique et de drôle qui avait quelque chose d’un génie. Un homme « alter » donc, mais aussi « catho » car de culture anglicane mais plutôt athée, il s’est converti et est entré dans la communion de l’Eglise catholique en 1922. J’essaierai de garder cet esprit chestertonien tout au long de ces chroniques. Partons donc à la découverte de ce bon vivant à l’embonpoint remarqué et qui aimait fumer le cigare à toute heure.
« Il est bien évident que la jupe est le signe de la dignité de la femme, et non de sa soumission : il en est une preuve toute simple. Aucun souverain ne revêtirait délibérément l’attribut des esclaves ; aucun juge n’arborerait l’insigne du prisonnier. Au contraire, lorsque les hommes veulent paraître majestueux, imposants, en tant que juges, prêtres ou rois, ils portent des robes, les robes longues, à traîne, de la dignité féminine. Le monde entier est gouverné par des jupons, car même les hommes en portent quand ils veulent gouverner.[1]»
G. K. Chesterton, What is Wrong with the World (1910).
Ce paradoxe, si caractéristique de Chesterton, intervient dans le contexte du mouvement des suffragettes. Mettons tout de suite cartes sur table : Chesterton était contre le droit de vote des femmes à l’époque, pour des raisons que je ne développerai pas ici. On peut ne pas être d’accord avec lui – c’est mon cas – et d’ailleurs, peut-être ne serait-il pas du même avis dans le contexte actuel. Bref, en dépit de cette position, il a un profond et sincère respect pour la dignité de la femme.
Ici, il renverse le stéréotype, toujours aussi prégnant, qui associe le symbole vestimentaire de la jupe à un symbole de soumission puisque celle-ci serait par essence un attribut féminin. Par ce trait d’esprit, il prend le contre-pied de ce sens commun pour montrer que si la jupe, ou le jupon, est certes un attribut d’abord féminin, il ne l’est pas exclusivement. Surtout, il nous dit que ce n’est pas parce que l’on porte le jupon que l’on devient une femme ! Bien au contraire, l’homme qui le porte assoit son autorité, manifeste son pouvoir.
Il est vrai qu’en 2014 les rois ne portent plus de robes ni de jupes et les prêtres, même quand ils portent la soutane, n’ont plus l’autorité qu’ils pouvaient avoir à l’époque où Chesterton écrit. Mais c’est toujours le cas des magistrats. Au-delà de cette anachronie, c’est l’idée même d’une essentialisation des attributs féminins et masculins et de leur exclusion réciproque qui est dénoncée et toujours valide aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’une petite fille joue à la voiture qu’elle devient un garçon et ce n’est pas parce qu’un petit garçon joue à la poupée qu’il devient une fille.
Les organisateurs de la journée de la jupe avaient eu cette intuition que la jupe n’est pas un symbole de soumission et qu’elle peut aussi être portée par des hommes. En revanche, ils n’avaient pas compris la portée symbolique de cet acte ou, en tout cas, ils l’ont détourné pour en faire une démonstration de la confusion des identités sexuées. Les « anti journée de la jupe » ont eu donc tord de s’offusquer de ce qui était, en réalité, une démarche sans aucun danger idéologique, mais au contraire, une intuition du paradoxe de Chesterton.
[1] Il s’agit de ma propre traduction. Voici la version originale: “It is quite certain that the skirt means female dignity, not female submission; it can be proved by the simplest of all tests. No ruler would deliberately dress up in the recognized fetters of a slave; no judge would appear covered with broad arrows. But when men wish to be safely impressive, as judges, priests or kings, they do wear skirts, the long, trailing robes of female dignity. The whole world is under petticoat government; for even men wear petticoats when they wish to govern.”
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