Les Alternatives Catholiques

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Atelier de formation | Laboratoire d'action – Cafรฉ & Coworking "Le Simone" ร  Lyon

La jouissance des foules.

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Publiรฉ le 11 fรฉvrier 2014 2 commentaires

Quel est le lien entre le dรฉlitement de la dรฉmocratie et la fragilisation des liens amoureux ? Pourquoi le taux d’abstention semble croรฎtre ร  proportion รฉgale avec le taux de divorces ? Un dรฉbut de rรฉponse m’a รฉtรฉ apportรฉ par Lucrรจce. L’amour passion, exclusif et asservissant, doit รชtre fuit selon lui de la mรชme maniรจre qu’on fuit les liens d’une sociรฉtรฉ aliรฉnante. S’attacher ร  une citรฉ, s’attacher ร  une femme, sont pour Lucrรจce deux maniรจres de perdre sa libertรฉ. Mieux, le poรจte prรฉconise au chant V du De la nature une sexualitรฉ volage, apolitique en ce qu’elle ne fonde aucuns liens familiaux. Libรฉrer le sexe de l’emprise de l’amour, c’est une maniรจre de proposer un contre-modรจle social : non plus l’asservissement des gรฉnรฉalogies et des citรฉs, mais une jouissance sans contrainte, loin de l’agitation politique.

On comprend alors pourquoi la destruction des liens de filiation va de pair avec un dรฉsintรฉrรชt pour la chose publique. Ce n’est pas seulement le foyer comme premiรจre pierre de la citรฉ qui s’รฉcroule, c’est toute une conception des relations humaines qui disparaรฎt. A quoi bon รชtre fidรจle ร  son pays si l’on est adultรจre envers sa femme, ร  quoi bon se prรฉoccuper de sa survie si l’on nรฉglige sa propre descendance ? On pourrait pousser l’analogie plus loin : la porositรฉ des cellules familiales, recomposรฉes, dรฉcomposรฉes, mรฉlangรฉes, va de pair avec un effacement progressif des frontiรจres. Si l’on dรฉtruit les murs de nos propres maisons, a fortiori nรฉgligera-t-on ceux de notre pays. On change d’รฉpoux comme on รฉchange une marchandise, cโ€™est-ร -dire comme on partage une jouissance. On peut y voir une libรฉration, comme Lucrรจce, ou bien une dรฉcadence, comme son plus fameux adversaire, Cicรฉron.

L’analogie va plus loin, dans la mesure oรน Lucrรจce fonde toute son argumentation sur la critique des religions, aliรฉnantes elles aussi. Sans religion, rien ne vaut que l’affection, le sensible, le plaisir. L’amour est subordonnรฉ ร  la sexualitรฉ, la politique ร  l’utilitรฉ commune. La souffrance doit pouvoir รชtre abrรฉgรฉe par la mort, et on est mรชme en droit de se demander, selon Lucrรจce, si un homme qui ne sent plus est encore un รชtre humain. On recuit toujours le mรชme vieux chou. C’est toujours sur cette rรฉduction de toutes choses au sensible que nous achoppons, sur ce vieil orgueil des hommes, qui rรฉduisent la totalitรฉ du monde ร  la somme de leurs affections. A quoi bon cette conclusion ? A renforcer, avec l’aide du paรฏen Lucrรจce, cette intuition que nous possรฉdons tous : notre combat est eschatologiqueย ; ร  la racine de nos maux se trouve lโ€™รฉternelle critique dโ€™une transcendance au-delร  du sensible. D’une certaine maniรจre, notre poรจte le savait bien, lui qui achรจve son ล“uvre sur une Apocalypse, immonde tableau de la peste ร  Athรจnes oรน Lucrรจce dรฉcrit ยซย les enfants gisant sur leurs pรจres et leurs mรจresย ยป : รฉtrange filiation qui resurgit ร  l’heure du naufrage…

Administrateur

2 thoughts on “La jouissance des foules.”

  1. Ce que vous dites est trรจs pertinent, cependant, je ne suis pas totalement d’accord sur le phรฉnomรจne des frontiรจres : elles n’ont jamais รฉtรฉ autant fermรฉes culturellement hรฉlas, car il faut ourvrir ยซย toutes grandes les portes au Christย ยป, et entre nous qui sommes ร  son image, sans doute ร  cause de l’ethnocentrisme que provoque la crise. ร‰tant de mรชme รฉtudiant en Philosophie, ainsi qu’en Sociologie, je me permets de partager une pensรฉe d’Aldous Huxley qui fait รฉcho ร  votre propos : ย ยป ร€ mesure que diminue la libertรฉ รฉconomique et politique, la libertรฉ sexuelle a tendance ร  s’accroรฎtre en compensation. ยซย .

  2. Texte trรจs pertinent sur l’ivresse de toute-jouissance qui emporte tout, domine tout, balaie tout au cri de ยซย Moi je, moi je, moi jeย ยป !
    Une seule remarque nรฉanmoins: l’homme ivre de jouissance est trรจs prรฉoccupรฉ de sa survie. Il soutient l’euthanasie des personnes jugรฉes trop dรฉcrรฉpites pour bien jouir, le malthusianisme qui rรฉduit le nombre de nouveaux venus avec qui partager, mais aussi les recherches contre le vieillissement: il veut survivre, LUI, intact (ou alors ร  la rigueur รชtre euthanasiรฉ si la vie n’est plus assez fun). Et c’est bien logique รฉtant donnรฉ qu’il est sa seule norme, son seul et unique rรฉfรฉrentiel: ร  quoi servirait le monde sans lui ? Il n’est certes pas prรฉoccupรฉ de la survie du monde, ni mรชme de l’humanitรฉ, mais prolonger sa vie et sa santรฉ personnelles est une obsession.

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