Les Alternatives Catholiques

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Sainte Rita, patronne des Gallicans ?

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Publié le 3 août 2016 Aucun commentaire

J’étais tranquillement en train de lire le De ecclesiastica potestate de Gilles de Rome quand la polémique politico-religieuse du jour s’est levée : l’Eglise Ste Rita a été évacuée ce matin par la force, donnant lieu à l’image pathétique d’un prêtre traîné par terre par des CRS. Voilà qui rappellerait pour les uns les heures les plus laïcardes de notre République, ou la collusion de l’Etat et de Daesh pour les autres.
Je voudrais pourtant, pour nous clarifier les idées, préciser quelques points.

1. Une Eglise désacralisée et inutilisée peut être légalement et légitimement détruite. C’est même fatal, étant donné la faible fréquentation des lieux de cultes. Nous sommes dans la situation décrite par le Cardinal Ratzinger en 1969 : « De la crise actuelle émergera l’Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l’Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l’on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l’initiative de ses membres ». Donc la destruction de cette église, au-delà du symbole certes très triste d’une France qui n’est plus chrétienne, n’a pas de quoi nous choquer. La cause n’est pas l’Etat, le parallèle n’est pas tenable avec la République anti-chrétienne. Si les églises sont vendues ou détruites, ce n’est pas en raison du fanatisme anti-chrétien de la République, c’est parce qu’il n’y a plus personne dedans. Ce petit extrait de Ratzinger nous invite à promouvoir une Eglise de la foi plutôt qu’une Eglise des symboles, ou plutôt une Eglise dont la foi est à la source des symboles plutôt qu’une Eglise qui cherche dans des symboles creux (creux comme une église vide et désacralisée) un regain de foi.

2. Mais il faut être juste. Il se trouve que cette paroisse est occupée depuis le mois d’Octobre par un prêtre catholique. L’occupation d’un lieu, y compris d’un lieu de culte, et y compris par un prêtre un peu bizarre, peut être en bonne doctrine parfaitement légitime, même si elle est illégale . Même si les propos islamophobes de certains partisans de Ste Rita sont odieux, et nuisent à leur cause. Mais allons doucement : l’occupation n’est pas forcément légitime ; le fait qu’un bon pasteur occupe une église vide ne suffit pas en soi à obtenir la légitimité. Pour cela le principe est simple : il faut que l’occupation illégale du lieu serve mieux le bien commun que ce que prévoit la loi. C’est dans ce cadre-là que des migrants qui craignant pour leur survie (la vie étant un élément non négligeable du bien commun) occupent des lieux vides, ou que des agriculteurs refusent d’être expulsés au motif qu’un aéroport serait sur leur terre un « grand projet inutile ». On veut détruire l’église pour y mettre un parking et des logements sociaux. Qu’est-ce qui vaut le plus, un parking et des logements sociaux, ou bien une église ? C’est là que ça se corse. En première analyse il est évident que permettre à des gens de se loger et de trouver une place de parking dans l’enfer automobile urbain vaut mieux qu’une église vide sans intérêt pour le Patrimoine.
Mais le problème c’est qu’en toute objectivité l’église n’était pas vide. Donc, est-ce que l’abbé de Tanouärn avait donné une valeur supérieure, pour le bien commun, à ce lieu ? Comment fait-on pour évaluer si une occupation comme celle-ci a une utilité pour le bien commun ? Je propose quelques critères, mais je l’avoue je n’ai pas de point de vue tranché sur la question.
A) Est-ce que cette paroisse répondait à un besoin pastoral, notamment à un besoin des habitants ? Le fait que la paroisse ait été concédé à l’Eglise Gallicane en 1987 (ce qui en soi devrait plus choquer que sa destruction) semble montrer qu’il n’y avait pas beaucoup de catholiques pour y faire vivre quelque chose de l’ordre d’une communauté ecclésiale, puisque je n’ai pas vu mention d’une résistance catholique à l’installation de ces « hérétiques ». Toute présence catholique était éteinte dans ce lieu depuis au moins trente ans, il est bizarre que l’abbé de T. et ses fidèles veuillent réinvestir ce haut-lieu du gallicanisme. Pourquoi ce lieu et pas un autre ?
B) Néanmoins cela ne supprime pas toute légitimité. Autre critère : est-ce que l’abbé de Tanouärn y faisait vivre une communauté paroissiale nouvelle, ou bien animait-il un groupe de catholiques qui auraient pu se réunir ailleurs ? Ça je n’en sais rien, j’ai lu et entendu sur ce sujet des choses très contradictoires. Les uns disent que l’Eglise était pleine le dimanche, d’autres qu’elle est animée dès le départ par un groupuscule de dissidents de l’Action Française, et qu’elle n’est par conséquent que l’instrumentalisation à des fins politiques de la religion catholique par des héritiers de Maurras. C’est la question centrale, qui doit être tranchée par une autorité compétente, c’est-à-dire par un évêque.
C) Mais allons jusqu’au bout : si cette église ne servait qu’à l’abbé de T. et ses fidèles et pas à la paroisse, cela peut quand même constituer un motif de légitimité également. De même que si un squat sert uniquement aux migrants qui y vivent, il peut être légitime de le conserver ou de le défendre. Mais il faudrait pour cela que l’abbé de Tanouärn n’ait pas d’autres lieu pour animer une telle communauté. Ce qui ne me semble pas être le cas non plus, puisqu’il possède des locaux, le « Centre St Paul », où il semble possible de célébrer la messe.
Il ne s’agit ici que d’éléments pour discerner, je ne prétends pas me substituer à l’autorité compétente, c’est-à-dire à l’évêque (ou au Pape, puisque l’Institut du Bon Pasteur en dépend). Le principal point litigieux est de savoir si l’abbé de T. avait donné naissance à une communauté paroissiale neuve et vivante, et pas seulement à un repaire de « défenseurs de la chrétienté » . Est-ce que le lien qui unissait les gens qui fréquentaient Ste Rita était ecclésial ou seulement idéologique ? C’est justement pour ce genre de cas qu’il faut des évêques : pour surveiller que ce que l’on fait sert le bien commun, et pas une élucubration identitaire. S’il y a des évêques ce n’est pas pour faire joli, c’est pour, entre autres, trancher ces problèmes de légitimité. Plus généralement, c’est à cela que sert l’Eglise catholique en matière temporelle : être une institution qui juge, du niveau mondial au niveau local quand la légalité n’est pas conforme à la légitimité. C’est précisément en quoi elle s’oppose par nature à tout gallicanisme.

3. La police a traîné un prêtre par terre, ce qui est une image choquante. Cela doit nous faire réfléchir sur un point : la défense aveugle de la police, est une erreur. La police défend l’ordre et la raison d’Etat, pas toujours le Bien commun.

4. L’instrumentalisation du christianisme à des fins identitaires a peut-être frisé le sacrilège. S’il est avéré que la messe a été célébrée ce matin par trois fois (par trois prêtres) non pas pour rendre un culte à Dieu mais pour faire le buzz, il s’agit (mais je ne suis pas expert, hein) de quelque chose de très limite. Le lieu pouvait parfaitement être défendu, fût-ce en habit de prêtre, sans pour autant risquer le sacrilège de voir la présence réelle piétinée par des CRS brutaux.

5. L’abbé de Tanouärn explique dans une interview publiée le jour même1 qu’il veut faire de Ste Rita le symbole de sa défense de la civilisation. Mais pourquoi diable prendre une église qui a été anglicane puis gallicane (dans les deux cas symbole d’une Eglise instrumentalisée par l’Etat) comme symbole de la défense de la civilisation ? Symbole désastreux ! Et la manière dont l’événement est instrumentalisé par les mêmes qui hier critiquaient le Pape avec violence du fait de ses propos sur les musulmans, allant jusqu’à risquer un #PasmonPape, me fait dire qu’il y a dans la défense d’une Eglise Gallicane un signe (de l’humour) de la Providence. Ceux qui voudraient se passer du Pape François se lancent à toute vitesse dans la défense d’une paroisse Gallicane désaffectée. Ce signe des temps signifie pour moi que ceux qui exaltent l’Etat-Nation jusqu’à trouver que le Pape outrepasse ses droits lorsqu’il déclare que « tous les musulmans ne sont pas violents », ou que les migrants doivent être accueillis dignement plutôt que de crever dans la Méditerranée finissent par prendre une position théologico-politique bien connue : le Gallicanisme, c’est-à-dire à la fois le refus de l’autorité du Pape en matière temporelle et la constitution d’une Eglise nationale voire nationaliste. Donc au-delà de la polémique fatigante sur Ste Rita : suivons les évolutions de ce Gallicanisme nouveau, qui traverse la vie politique de droite à gauche. Si Ste Rita est leur nouvelle patronne, espérons qu’elle n’œuvre pas trop pour cette cause désespérée.

 


 

1. http://www.lefigaro.fr/vox/religion/2016/08/03/31004-20160803ARTFIG00176-les-eglises-doivent-etre-protegees-meme-si-elles-ne-sont-pas-rentables.php 

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