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Réforme territoriale : la loi est-elle NOTRe ?

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Publié le 2 août 2015 1 commentaire

Ce jeudi 16 juillet, le Parlement et le Sénat ont adopté le dernier volet de la réforme territoriale en votant la loi portant « nouvelle organisation territoriale de la République », dite loi NOTRe. Après une première loi consacrée, en janvier 2014, à la création des métropoles et une seconde loi actant, en janvier 2015, le redécoupage du territoire national en treize régions, le gouvernement a ainsi posé la dernière pierre d’un édifice voulu emblématique pour le quinquennat, un « acte III de la décentralisation » s’inscrivant en droite ligne et filiation des lois mitterrandiennes de 1982. Peu bruyante sur le sujet, la presse s’est fait le discret écho de citoyens ayant depuis longtemps pris congé du débat public, dans un climat de vacances estivales. Elle s’est contentée de souligner les échecs et revirements de la réforme menée depuis un an : départements maintenus, économies a priori décevantes en dépit de la fusion des régions, etc. On ne viendra décidément pas à bout de notre « mille-feuille territorial ».

 

A bien des égards, la réforme territoriale est un rendez-vous manqué. Encore faut-il se demander avec qui. En tenant le devant de la scène, les préoccupations économiques ont occulté deux débats fondamentaux : celui des inégalités territoriales et celui de la démocratie locale. La réflexion sur le « mille-feuille territorial français », véritable tarte à la crème de nos journalistes et politiques, est certes nécessaire, mais elle a pour effet de concentrer l’attention sur des aspects techniques et économiques quand il devrait avant tout être question de projet politique. Quelle stratégie adopter alors que l’écart se creuse toujours plus entre espaces de la métropolisation et de la mondialisation d’une part et espaces ruraux d’autre part ? Les citoyens sont-ils partie prenante des politiques locales ? Qu’est-ce qu’un territoire aujourd’hui ? Omniprésente, la question financière a finalement enfermé le débat dans un dialogue d’experts, prétendus seuls capables de définir les dimensions « pertinentes » de nos territoires et les niveaux « rationnels » de compétence, excluant de fait le citoyen du débat public. Il convient de redonner ici leur juste place aux questions cruciales soulevées par la réforme de notre organisation territoriale.

 

La question territoriale

 

 Le mariage des régions est d’abord un mariage d’intérêt

 

Paradoxalement, le territoire est le grand absent de la réforme territoriale. Il suffit pour le comprendre d’analyser l’esprit dans lequel ont été tracés les nouveaux territoires. On s’aperçoit alors que le point de départ n’est pas la réalité géographique en tant que telle, avec les évolutions qui la traversent, mais des considérations plus purement économiques. Or, le remaniement de notre fameux « mille-feuille » doit bel et bien s’appuyer sur une analyse de fond des dynamiques à l’œuvre. Recentrer les politiques locales sur le bon échelon territorial implique de partir du réel.

Quels critères ont présidé au tracé de nos régions ? Pour le comprendre, il faut replacer les réformes en cours dans le contexte budgétaire français et plus encore européen. La réforme territoriale – qui est plutôt, en vérité, un remaniement territorial – est d’abord un message envoyé au Conseil européen. Sous l’œil attentif de Bruxelles, la France est en effet incitée à mener des réformes structurelles pour restreindre ses dépenses. À cet égard, l’exception administrative française et son empilement de collectivités apparaît comme un chantier de premier ordre. L’un des arguments régulièrement avancé pour l’agrandissement des régions était la constitution de régions « à taille européenne », capables de rivaliser dans les classements statistiques avec les grandes régions allemandes. Or, le modèle des « Länder » apparaît rapidement comme une illusion lorsque l’on se penche sur la carte administrative allemande et que l’on regarde les dimensions de régions comme la Sarre (2570 km2, soit moins du tiers de la région Alsace, la plus petite des régions françaises). Enfin, la région est, fondamentalement, l’échelle de déclinaison locale des politiques européennes, en charge de l’attribution des fonds européens, ce qui explique que ses contours intéressent tout particulièrement l’UE. Pour procéder à la réforme, différents scénarios de fusion ont donc été recherchés en injectant dans un logiciel un ensemble de données statistiques de démographie et de PIB, avec la volonté de diviser grosso modo par deux le nombre de régions. C’est de ce travail hautement rationnel qu’est née la carte à 14 régions proposée par le gouvernement, rectifiée par la suite lors des différents allers-retours entre Assemblée et Sénat pour parvenir à une carte à 13 entités. Le mariage des régions est d’abord un mariage d’intérêt orchestré par la France et l’Union Européenne, associant des régions dites faibles à des régions fortes, augmentant le volume démographique des régions françaises.

Pour quels résultats ? Les économistes s’accordent sur le caractère décevant des économies attendues. Les besoins en investissement demeureront inchangés sur le territoire des régions fusionnées et la fusion elle-même sera dans un premier temps source de dépenses. Les véritables économies se feront en vérité par la diminution des crédits reversés par l’État aux différentes collectivités territoriales au titre des compétences qu’il leur a pourtant confiées. La fusion des régions française modifie finalement peu leur classement dans les statistiques de l’agence Eurostat, le mariage de régions riches et pauvres ne jouant pas forcément en leur faveur.

L’opposition entre critères technico-financiers et principes de réalité n’a rien de nouveau. Elle rappelle le débat historique de 1789 autour du tracé des départements, dans lequel Siéyès et Touret avaient envisagé un découpage de la France en carrés géométriques homogènes, finalement abandonné pour construire la nouvelle carte à partir des anciennes provinces. Le second critère présidant au tracé avait été la possibilité de se rendre au chef-lieu en moins d’une demi-journée de cheval pour pouvoir y régler des affaires courantes. La comparaison historique, pour peu qu’elle soit permise, ne joue donc pas en notre faveur : le territoire vécu l’avait alors emporté sur le territoire théorique. Ainsi, la question fondamentale reste la suivante : les régions françaises telles qu’elles sont dessinées constituent-elles des territoires pertinents pour mettre en œuvre les politiques territoriales répondant aux défis de demain ? Ont-elles un sens géographique en tant que telles ou n’ont-elles un sens qu’à partir de critères économiques et techniques ?

Par deux fois, le projet gouvernemental a pourtant été rattrapé par la réalité. Annoncée en grandes pompes par Manuel Valls, la suppression du département s’est rapidement avérée impossible au vu des besoins du monde rural : alors que les outils et compétences en matière d’aménagement sont déjà entre les mains des villes dans les pôles urbains, les communes rurales ne peuvent aujourd’hui se passer purement et simplement de cet échelon intermédiaire. Par la suite, la fusion des groupements de commune à partir d’un seuil de 20 000 habitants s’est heurté à la spécificité de territoires comme ceux de montagne, peu denses, dans lesquels l’avènement d’immenses intercommunalités n’aurait aucun sens.

 

Carte SiéyèsCarte des départements de l’abbé Siéyès (1789)

Pourtant, loin des débats stériles sur la position de nos régions dans le classement Eurostat, des voix se font entendre pour interroger la pertinence de nos territoires au regard des défis économiques et sociaux de demain et des inégalités territoriales croissantes entre territoires métropolitains et ruraux. Il s’agit ici d’interroger les coûts – notamment sociaux – qui seront engendrés demain par une organisation territoriale obsolète incapable d’être le support de politiques de développement locales ambitieuses. Alors que l’on assiste à l’émergence de pôles de croissance forts, inscrits dans la mondialisation mais reposant sur une économie de services qui ne bénéficie que peu aux espaces périphériques, et que l’écart entre les aires urbaines des grandes métropoles et les espaces ruraux ne cesse de se creuser, alors même que les bassins de vie ne s’organisent plus à l’échelle de nos 36 000 communes, il importe de penser une organisation territoriale qui réponde aux enjeux de demain. Saurons nous favoriser des économies locales qui ne fassent pas des métropoles des pôles de développement hors sol tournant le dos à leurs espaces périphériques en concentrant les leviers d’action et les moyens ?

La manière dont les évolutions socio-économiques actuelles bouleversent notre organisation territoriale héritée du XVIIIe siècle a été brillamment exposée dans une note du think tank Terra Nova, réputé proche du parti socialiste, qui ne se prive pas de pointer les insuffisances de la réforme territoriale menée par le gouvernement (http://www.tnova.fr/note/la-nouvelle-question-territoriale). Le document précise ainsi qu’il serait « dangereux de réformer l’organisation territoriale de la République en fonction de critères purement conjoncturels ou pour satisfaire les exigences d’un rapport de force politique circonstanciel au sein de l’Union européenne. » En matière de réflexion de fond, parmi les auteurs envisageant la réduction des niveaux de collectivités à la lumière des transformations que connaissent nos territoires, il est aussi possible de citer Vincent Aubelle, qui s’appuie sur des constats similaires (http://www.lexpress.fr/region/la-reforme-territoriale-qu-il-est-encore-temps-de-faire_1615224.html). 1

La question territoriale n’est pas la seule à avoir fait les frais de la réforme. La question démocratique n’a été que peu abordée, alors même qu’elle constitue le meilleur moyen de favoriser l’appropriation des nouveaux échelons politiques par les citoyens. Or, non seulement plus personne ne s’y retrouve aujourd’hui dans le débat sur le remaniement de nos territoires, mais plus personne ne s’y retrouve plus dans notre organisation territoriale en elle-même. À la vacuité du projet politique s’ajoute ainsi un défaut de démocratie qui ne fait qu’aggraver la crise politique globale.

 

La question démocratique

 

les repères de la vie démocratique actuels sont toujours plus détachés des lieux où s’exerce le pouvoir réel et où sont posés les principaux enjeux pour l’avenir de nos territoires.

 

Deux points méritent d’être ici évoqués : l’association des citoyens à la réforme et le caractère démocratique de nos instances politiques locales – soit la forme et le fond de la réforme.

Le projet de référendum déposé par le Sénat en juillet 2014 a rapidement été écarté par l’Assemblée nationale. L’initiative se serait pourtant avérée intéressante. Elle aurait au moins eu le mérite de donner une meilleure visibilité à la question territoriale dans le débat public. Un sondage ifop avait avancé le chiffre de 58% de Français souhaitant un référendum sur le sujet. La Constitution l’autorise puisqu’elle prévoit l’organisation d’un référendum pour trois types de questions, dont celles relatives à « l’organisation des pouvoirs publics ». Les réactions de certains députés et sénateurs socialistes face à la demande de référendum ont été particulièrement édifiantes dans le rapport au citoyen qu’elles révèlent : le sujet serait trop complexe, « pas essentiel » (Philippe Kaltenbach) mais aussi trop sérieux et urgent. Au passage, il convient de signaler que la nécessité pour les régions de consulter les citoyens par voie référendaire en cas de changement de contours a été supprimé purement et simplement par le législateur lors de la réforme territoriale. Mais comment pourrait-on , au fond, envisager une consultation citoyenne sur la réforme territoriale lorsque cette dernière est ravalée au rang de débat d’experts et conduite au pas de charge pour des questions financières ? En décembre 2014, Valls évoquait en ces mots la réforme en cours : « C’est une véritable révolution, les gens ne s’en rendent pas compte, la presse toujours sceptique veut passer à l’étape suivante. » Mais comment “les gens” pourraient-ils bien se “rendre compte” des évolutions en cours lorsqu’ils n’y sont que si pauvrement associés ?

Heureusement, le ministère de la décentralisation et de la fonction publique «  a créé un outil pédagogique pour présenter la réforme territoriale en cours » : l’application mobile « NOTReFrance » (http://www.action-publique.gouv.fr/application-de-la-reforme-territoriale). Cet « outil numérique d’information citoyenne, pour réussir la réforme territoriale » permet à chacun de répondre à un quizz sur les compétences des collectivités puis de choisir les noms des futures régions tout en dessinant sur carte un bassin de vie à partir des lieux fréquentés au quotidien. Toute interaction avec les autres utilisateurs de l’application est toutefois impossible, ce qui empêche l’émergence d’éventuels débats.

Comment ne pas s’indigner devant cet outil « d’information citoyenne » infantilisant qui réduit le dialogue avec le gouvernement au niveau des plus futiles procédés de communication ? Combien de personnes ont d’ailleurs eu connaissance de cette application dont la faible diffusion ne fait que confirmer son inutilité ? Voici le visage que montre notre démocratie dans la mise en œuvre de la réforme territoriale : un débat d’expert en amont, une micro-pédagogie numérique infantile en aval.

Dans le contenu de la réforme même intervient principalement la suppression de l’élection des conseillers communautaires2 au suffrage universel direct. Les conseillers communautaires restent choisis au sein du conseil municipal : au moment des élections municipales, le bulletin de vote consiste en une liste où sont déjà fléchés les futurs conseillers communautaires. La dernière version du texte, voulue par les sénateurs, a supprimé l’introduction du suffrage universel direct dans les instances intercommunales dans l’objectif de préserver les prérogatives démocratiques de la commune. Les sénateurs, ardents défenseurs des municipalités et de leur rôle politique, voient en effet d’un mauvais œil l’avènement d’une supra-communalité susceptible de remettre toujours plus en question le rôle des communes, alors même que leurs compétences ont été massivement transférées aux intercommunalités. En resserrant les compétences au niveau des groupements de communes et en créant les métropoles, la réforme a encore conforté le pouvoir de cet échelon territorial, qui demeure largement méconnu des citoyens. D’où le constat suivant : les repères de la vie démocratique actuels sont toujours plus détachés des lieux où s’exerce le pouvoir réel et où sont posés les principaux enjeux pour l’avenir de nos territoires.

La situation du Grand Lyon en est une parfaite illustration. La création de la Métropole en janvier 2015, par fusion du département du Rhône et du Grand Lyon sur l’emprise de la communauté urbaine n’a fait subsister le département que sur la partie rurale située à l’ouest de l’ancien territoire départemental, sous le nom de « Nouveau Rhône ». Au moment des élections départementales, nombre de citoyens du Grand Lyon ont soudainement compris les conséquences réelles de cette modification de périmètres : la spoliation pure et simple de leur droit de vote aux élections locales. L’espoir d’une élection des conseillers de la Métropole au suffrage universel direct en 2017 s’étant lui-même évanoui ce jeudi 16 juillet, on peut en effet dire que les habitants de la Métropole lyonnaise ont perdu la possibilité pure et simple de s’exprimer sur un ensemble de politiques locales, portées par une superstructure politique appelée à concentrer toujours plus de pouvoir. Voici donc une « véritable révolution », mais effectivement, « les gens ne s’en rendent pas compte ».

 

La réforme territoriale mériterait que l’on se pose les véritables questions, et que ces questions soient partagées dans un authentique débat public. La question des coûts de notre administration territoriale et de sa lisibilité est essentielle, mais elle doit être subordonnée à une réflexion sur les dynamiques géographiques à l’œuvre, pour éviter de perdre toute prise à la réalité. Ne posant jamais les débats de fonds, les réformes territoriales sont minées de l’intérieur par des questions fondamentales qui ne sont jamais ouvertement posées : celle de la disjonction entre espaces de la métropolisation et espaces ruraux, celle du devenir de la commune et de la démocratie locale. Ainsi, les réformes suivent des logiques de pure adaptation aux dynamiques en cours (restriction budgétaire, modélisation selon les normes européennes, affirmation des métropoles, …), pour lesquelles on parle de « modernisation » plutôt que de se poser la question des territoires au niveau desquels engager les politiques de l’avenir. L’exemple de la réforme territoriale et du rapport que nous entretenons à la notion même de territoire est emblématique de la crise politique actuelle : les préoccupations économiques et technocratiques ont fait de nos élus des gestionnaires coupés du réel et du citoyen, consacrant la mort du projet politique. Elle ne laisse donc au citoyen que la possibilité de choisir son gestionnaire et de suivre les bouleversements en cours grâce d’innovants procédés “pédagogiques”.

 Une telle conception de la politique nie ouvertement la dignité humaine et va à l’encontre de celle proposée par la pensée sociale de l’Église. Au-delà même des bases fondamentales de la communauté politique, posées dans l’encyclique de Jean-Paul II Gaudium et Spes (orientation vers le bien commun et le développement intégral de l’individu, éminente dignité de la mission politique du citoyen, limitation de la puissance des pouvoirs pubics, …), il est intéressant de reprendre ici les apports de la dernière encyclique du pape François. Ce dernier insiste dans Laudato Si sur la prééminence d’un “paradigme technocratique” dans la pensée contemporaine, qui sur-valorise l’efficacité technique et financière, donne l’illusion d’une maîtrise du réel, empoisonne notre rapport à l’environnement et “tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique”. On observe donc « la tendance, pas toujours consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de la technoscience un paradigme de compréhension qui conditionne la vie des personnes et le fonctionnement de la société ». Pour conclure, on retranscrira ces mots du Pape lors de son discours au Parlement européen à propos de la crise de nos démocraties : « On constate avec regret une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique, au détriment d’une authentique orientation anthropologique. […] Maintenir vivante la démocratie en Europe demande d’éviter les « manières globalisantes » de diluer la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse. »

 

1 – Au cœur même de la réforme, les députés et sénateurs n’ont cependant pas manqué de s’interroger sur ces évolutions majeures et sur la stratégie à adopter pour répondre à la fracture territoriale en cours, pour concilier développement économique organisé autour des métropoles et solidarité territoriale, mais ces réflexions sont restées globalement en marge des hémicycles. C’est ce que montre une audition d’universitaires (http://videos.senat.fr/video/videos/2014/video25651.html) par la commission des lois du Sénat de novembre 2014, au cours de laquelle les questions de fond ont pu être soulevées, loin de l’agitation des instances législatives, instant de réflexion authentique où l’un des sénateurs conclut son intervention par : « il faudrait demander à des géographes ».

2 – Conseillers communautaires : ensemble des élus siégeant dans les regroupements de communes que sont les communautés de commune, d’agglomération et les communautés urbaines.

Marie-Hélène
Marie-Hélène, membre des Alternatives Catholiques.

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